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Publié par Michel Castanier

Edward Hopper


                                                                           11

 

Corfou !

 

N’abandonnons pas encore nos funambules dans leur chute. Non, pas tout à fait, ce serait mal les com­prendre, ce serait les tra­hir.

D’avance il me fatigue de montrer la moindre animosité.

En quoi sommes-nous différents, Emma et moi ?

Ecrire aujourd’hui le roman de nos amours est toujours aimer – sinon, qu’est-ce que je ferais là ? Et la voilà, la différence ! Tout est fini et je lui écris encore, imperturbable, confiant, par­faitement idiot.

Si elle me lit, mon héroïne, elle est sans doute flattée d’être mon roman à moi, rien qu’à moi (madame Bovary, c’est elle !), mais Emma n’est pas seulement gentiment va­niteuse de cette constance (ni même vaguement inquiète au sujet de ma santé mentale) : elle a en elle les échos sourds – les chocs – de ce beau mo­ment auquel elle ne veut plus croire que comme à une nos­talgie. Ou, à présent, avec la vague gêne des intimités pré­maturées.

Elle a dû prendre à l’époque sa décision en toute cons­cience. Mettre en ba­lance des dosages savants. Il est vrai que, si elles y voient leur intérêt, les femmes sont très fortes pour nous cla­quer la porte au nez. Il est vrai que nous découvrions l’imperfection des rapports ordinaires entre amants. Il était temps qu’elle me quitte.

J’admets, c’était plus confortable.

 

Ce que je sais, ce que je sais seulement est que j’ai le mal du pays – du pay­sage enchanté où est l’être de ma belle Emma en sa forme non substantielle et si juste, si exacte.

Je l’avais deviné très tôt dans ma vie, ou flairé si on veut voir en moi une grosse bête idiote, l’amour pour moi serait de l’abandon, et c’est pourquoi, peut-être, je n’avais pas pu aimer, ou pas voulu, c’était avant le don, le don d’Emma, de celle qui m’appelait de loin et qui venait à moi au plus près, à moi le lointain, et voici qu’aujourd’hui où elle est elle-même la lointaine, je vois mieux, l’amour c’est bien de l’abandon, et il est bien que ce soit de l’abandon, m’avoir aban­donné, elle, et demeurer dans cet aban­don, ce don.

Bon.

Laissons reposer ce grand délire.

 

L’amant écrivit encore quelques messages malheureux et qui furent presque tous sans ré­ponse : des mots de souf­freteux dont rien ne mérite d’être gardé.

Ou si peu.

Pour l’exemple.

Pour que soit dit ce qui ne doit pas être dit. Jamais.

LUI – Que te dire ? Que te dire si tu n’es pas capable de perdre tes habitudes ?

Quels que soient les faits, garde-moi au moins au chaud pour l'ins­tant, au se­cret de ton cœur, et fais-en de la joie.

Rends-moi un peu de ce bonheur que tu m'as offert et que tu t'es offert. Dis-moi que je te suis cher, que je te manque et que nous nous aimons dans un monde qui n'est celui de per­sonne.

Oui, aies le sens du secret pour l'instant. Sois un stratège pour notre amour. Je suis là, prends en ton partie, et crois-moi, ce n'est pas non plus facile pour moi. Je sais bien qu'il te faut beau­coup de force mais tout est là déjà entre nous et n'attend que ton temps et ton heure. Oui, aies même le goût du secret, oublie-moi quand il le faut, pense à moi quand tu le peux. Mais garde-moi. Notre temps et notre heure vien­dront. Je t'aime, mon Emma, et tu m'aimes.

ELLE – Je ne sais pas quoi dire.

LUI – Ta toute petite réponse tellement émouvante en serait presque cocasse, ma chérie, si elle ne trahis­sait ton désarroi.

Je te proposerais bien de m'appeler, tu as mon numéro maintenant, si tu ne craignais, je sup­pose, de me lais­ser tes coordonnées. J'ai une voix de crécelle et, j'en suis sûr, tu as une voix de routier. Cela mettrait un peu de mesure entre nous,    non ? Ce serait une nou­velle façon d'être ensemble, de réfléchir ensemble et d'être moins seuls.

ELLE – Je pars à Corfou dimanche, pour une semaine. 

Nous ne nous appellerons pas (bien que j'aie une voix plutôt douce) mais j'y verrai sans doute plus clair d'ici là.

 

 

[à suivre)

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