Chronique de Nîmes : Bulles – II Un peu, beaucoup, passionnément … (18)
44. Il y a en fin de nuit un orage lointain, des intermittences de lanterne sourde de l’autre côté de la mer.
La villa Les Flots bleus se tient devant une passe entre la mer et le lac artificiel, aménagé aux lieux d’anciens marais croupis où buvaient autrefois les taureaux avec des soupirs et des éternuements.
Des mouettes s’élèvent d’un arbre mort, blanchi par le sel, arrêté contre des fils barbelés – et planent en poussant des petits cris qui ont l’air de plaintes.
Ce qui semble une toute jeune clocharde veille au clair de lune.
D’abord, postée à la barrière du jardin, elle a détourné exagérément la tête. Puis, ayant plus de courage, elle dévisage la villa comme si c’était un visage.
Les éclairs de chaleur vibrent par intermittences dans l’enclos. Il semble que ce soit la terre obscure elle-même qui dispense ces décharges électriques.
La fillette passe le portillon.
Elle va retirer une pelle de la cabane où sont les outils de jardinage, à l’arrière de la maison, et commence à creuser, sans bruit. Elle n’a pas à descendre très profond, et d’ailleurs un premier rayon de soleil rougit les vitres hautes du grenier.
Marguerite se volatilise dans un nuage de poussière.
45. Le jardinier de la commune, un simple d’esprit, ayant observé avec curiosité l’étrange petite créature blanche qui maniait si bien sa pelle au petit matin, a commencé à déterrer à son tour le premier des corps et n’est pas allé plus loin, complètement dépassé par le cours que prenait les progrès de l’horticulture. Dans la même matinée il en a fait l’observation à un voisin de la villa, par-dessus la haie qui les séparait, le voisin a voulu en savoir plus et il s’est mis à hurler, terrorisant l’Innocent qui s’enfuit où il a pu.
46. Le corps, ce premier corps, est celui d’une jeune femme brune avec une perruque blonde. Il est frais.
Il y a d’autres cadavres en-dessous du premier, beaucoup plus altérés, graduellement abîmés au fur et à mesure qu’on approfondit les fouilles, des corps déposés comme des strates de couches archéologiques ou des lignes autobiographiques dans la vie d’un homme dément.
En dernier lieu, le squelette d'une petite fille qui allait être identifiée comme la sœur du malade.
47. Les skieurs nautiques, accrochés au palonnier des hors-bords, glissent tout au long d’une belle journée d’été sur le lac, devant la villa silencieuse où s’attroupent les estivants et les voitures de police, les sportifs s’élancent depuis les tapis synthétiques à fleurs d’eau traversent comme une foule de petites balles l’écorce des ifs du vieux cimetière, le plan bleu, et viennent mourir engloutis près des berges sablonneuses dans un bruit imperceptible.
[à suivre]