Approche – 21
– Où avais-je la tête pour ne jamais rien voir, ennuyé et bien sûr morose, sans indices de la proximité de ma joie ? ...
Quand il baisse les yeux, elle est là, passante aux petits pas, appliquée, si sérieuse ! Et ils se sourient.
Sa brève euphorie grandiloquente, se résorbe, s’assagit. Il vous dévisage soucieusement, paraît rassuré.
Vous approuvez discrètement, soucieux de ne pas le bousculer, par ailleurs content s’il ne s’obstine plus à maltraiter Éliane dans ses propos, savourant par anticipation une réjouissance fraternelle. Vous avez imaginé un mari traditionnel, encombrant, peu moderne. Vous croyez en rire avec Julien. N’essayez jamais d’être sournois, cher homme ! Vous êtes la souris.
– Il est vrai qu’il y a toujours autour d’une œuvre d’art une famille pénible… concède-t-il, baissant un peu plus le front, sournois, vénéneux, craintif.
Il doit étouffer, car sa respiration est exagérément perceptible dans le bureau, comme au téléphone quand elle le trahit avant même qu’il ait parlé.
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– C’est curieux que mes bonnes intentions tournent à mon désavantage. Elle va à moi harmonieusement, lumineusement ; je suis déjà impotent, si affreusement embarrassé de moi-même. Dès qu’elle m’a aperçu du fond d’une rue, elle court à moi comme si elle se confiait ; je suis disposé pour elle, appui, accueil. C’est l’élan.
Il se tait, hagard, confus, et vous considère avec une sorte de crainte émerveillée qui vous embarrasse.
– Une fois reposée – déjà nous nous déconcertons. Bientôt, je la déçois, je me déçois. Elle n’en dit rien, étonnée, amusée, inquiète. Qu’aurait-elle à dire ? Elle parle, sa petite tête détournée, puisqu’il faut parler, apprivoiser, retrouver le sens du secret, les parallèles heureuses. Elle a de ces mots vieillots et émouvants dans sa bouche – faramineux, furibond, fulminer – que je goûte longtemps. Elle a de ces réflexions tranquilles et qui m’étourdissent. Mes propres réponses me mortifient. Je suis lourd, indélicat, superflu, si peu exact.
Il est absorbé dans des accès d’exaltation brusque puis de mornes stupeurs. Il y a en vous quelque chose qui se désenchante, qui s’effraie.
– Mais si je consens à m’oublier, comme j’entre en grâce auprès d’elle!... C’est, après l’école, une heure faste quand un étui de violoncelle arrive tout seul sur la place, oscillant et titubant comme une grosse bouteille ivre. Derrière, notre Andréa pousse sur les roulettes, essoufflée, les joues rouges, active, dansante…
[à suivre]