AUTOPORTRAITS (276)

LUCA

J’apprends qu’il se tient quelque part dans le cerveau reptilien (où, mon Dieu ?) une zone minuscule qui commande la respiration depuis notre sortie multiple des océans. Il va de soi que nous n’en savons rien, je veux dire : cette activité agit bien en dessous de la conscience.

Par bonheur.

Peu de monde (et pourquoi diable le ferait-on ?) imagine ce que fut la peine d’apprendre à respirer quand nos anciens s’aventurèrent sur les plages du monde (souffrance – sorte de remémoration générale – que subit d’ailleurs le bébé à sa sortie du liquide amniotique dans l’inquiétude générale : il ne respire pas !).

Ma situation est la suivante : il me faut penser à respirer, non que je risque d’oublier, je ne suis pas un bébé, ou ne suis pas si distrait, mais la respiration m’est un effort soutenu et sans fin – jusqu’à la fin. Je vis une grave régression, me voici réduit à nos origines, trois pattes après trois pattes je sors des eaux jour après jour.

Profonde méditation

Il m’a semblé – je ne prétends pas penser – que je n’étais pas un intellectuel en ceci que je poursuis rarement les conséquences d’une idée et qu’il y en a très peu que j’ai éprou­vées. C’est le fait d’une intelligence ordinaire. Ces conséquences je les laisse jouer entre elles au fil des imaginations : c’est être libre parmi les erreurs.

Que savons-nous de notre intelligence ? Notre bêtise ne nous en dit rien. Un des rôles de l’intelligence est la préservation de soi. Les circonstances (le milieu social qui nous a vu naître) nous en ont tenu lieu. Tout au plus. C’est l’imagination qui est la valeur suprême. L’intelligence la vérifie, l’infirme ou la confirme.

Je pense – si c’est penser – que l’intelligence a un avantage : elle est méchante et gracieuse. Elle a de l’esprit. La méchanceté n’est pas malveillante en ce qu’elle n e s'attarde pas. La drôlerie dans la méchanceté c’est l’esprit qui joue avec lui-même comme un chaton.