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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
Brian Froud

 

Le Visiteur

 

Il y eut un matin, il y eut un midi, il y eut un après-midi, c’était le jour du bal costumé, et bien des membres de la Maison Nogre étaient en­core sur les ter­rasses. Le Temps n’a pas de prise sur la bonne société. Le vent paressait sur la pelouse, par une chaude journée d’août. Je re­venais de l’asile par la porte bleue, tout à fait sèche à présent. J’avais les mains dans mes poches et sifflotais un pe­tit air. Il m’agaçait de n’en pas re­connaître le titre.

On avait eu de nouvelles visites dans la nuit. Des dames. Distribuées autour des tables comme un jeu de cartes, sans doute truqué. Tante Agathe, la vieille pa­tronne du Pa­lais des glaces dHam­bourg, un bordel en fait, buvant son thé et grigno­tant du bout des dents un cookie, ra­contait avoir eu, au cours de sa sieste, un de ces cauche­mars fré­quents qui léveillaient comme celui où sa Rolls tombait d’une falaise et qui la faisait crier et gémir.

Cette Agathe – ap­pa­rue la veille au crépuscule – avait le vi­sage neutre des personnages dans les rêves. Elle était vê­tue de gris, chapeau gris, gants gris, para­pluie gris qu’elle navait pas quittés depuis son arri­vée. Si son corps avait été celui dune poupée de chif­fon, vous considéreriez que le jour se voyait à tra­vers le tissu usé jusqu’à la corde. Elle ne disait ja­mais grand-chose d’intéres­sant. Elle se contentait de temps à autre dessayer déborgner avec la pointe de son para­pluie un des domestiques quand ils pas­saient à proximité.

Une autre nouvelle invitée – tante Ursule (tailleur noir, che­misier à jabot, mono­cle comme un petit œuf blanc étincelant au so­leil) – n’avait aucune peine à interpréter les rêves.

« Il est temps que tu aies une bonne conduite, Agathe. »

Ursule pianota avec enthousiasme, comme un clavier, les écailles du bébé crocodile posé dans un panier sur ses ge­noux. Agathe frotta la ligne ténue de ses lèvres avec une ser­viette en soie avant de ré­pondre.

« Tu es toujours extrêmement futée dès qu’il s’agit des au­tres, ma petite Ursule. »

Ces dames étaient en apparence absolument insensibles aux couleurs cha­toyantes du bois. J’avais reconnu tante Ursule, le Cerveau du consortium russe OLR, à la description que m’en avait faite le guide : toujours en jupe longue à taille de guêpe et cor­sage boutonné jusqu’au men­ton, armée de son seul mo­nocle et dun chapeau cloche, four­rant la plupart du temps Bébé – le petit cro­codile – dans son panier de chez Borringer’s d’où seule la tête hideuse dé­pas­sait.

Je tirai ma chaise contre elle et lui entourai les épaules : elle demeura sans trop de réaction un instant, mais fi­nit par succom­ber à l’impression de chaleur et ôta négligem­ment mon bras, comme si c’était une écharpe de laine insup­por­table par une telle journée d’été. Elle en parut plus à l’aise. J’en fus à pro­por­tion extraordinairement vexé. Ma bien­heu­reuse cordialité tour­nait mal, j’y perdais ce bien-être mo­ral au­quel je tenais tant. Avais-je l’avantage énigma­tique de n’être décidément jamais  ? – Mais à nouveau mes mots pour pro­tester étaient empê­chés par un voile qui bouchait mes lèvres ou par du tissu qui les voilait : seuls passaient de vagues borbo­rygmes indi­gnés.

Cousin Glock, le magistrat niçois, buvait son thé à petites lapées avec ces dames, les pieds posés sur sa mal­lette de cuir rouge, récupérée après un combat épique : cet attaché-case qu’on lui avait tou­jours con­nu et dont per­sonne au monde – « du moins, faut-il lespérer », à ce qu’il avait confié en aparté à Fanny Bergon, chu­cho­tant, la lèvre à peine discer­na­ble – ne connaissait le con­tenu (à part les ogrettes, bien sûr, avait précisé mon guide).

« Et qu’en est-il ? » lui avais-je demandé.

Virgile avait eu un geste incertain.

« Vaut mieux pas savoir, mon vieux. C’est trop tôt. Vaut mieux pas. »

 

 

[à suivre]

 

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