L’Hypothèse impossible VI Illogistiques des fêtes de la nuit – 15
Fiodor Antonovitch Verkhovensky
Fiodor appuya sa paume sur le front tiède d’un dormeur, vérifia un pouls, tapota une épaule, la secoua.
– Annihilation des réactions, inaptitude à changer de position, insensibilité, forte concentration des muscles… Indubitable… Ils sont en catalepsie… Une hypnose collective…
Le brouillard augmenta, comme si une machine détraquée accélérait son débit – défaut du mécanisme, fausse manœuvre ou action délibérée – car les dormeurs disparaissaient à la vue de Fiodor. Des gaz hallucinogènes ? Mais pourquoi lui-même et Berthe n’étaient-ils pas atteints ? ... Était-ce pour être passés par la porte bleue au fond du parc, puisque Fiodor n’avait pas eu besoin d’utiliser le trousseau du vieil Ivan sur le battant, minuscule dans la muraille de l’asile. Il s’était ouvert tout seul devant Berthe.
Le journaliste poussa une porte de pavillon au hasard, dont il crut qu’elle résisterait, elle céda si facilement qu’il tomba à genoux sur le plancher d’une vaste salle emplie de bancs et de tables d’égale longueur : un réfectoire.
Le rabat d’une trappe de cave au milieu du plancher s’ouvrit.
Un ŒIL s’y colla comme à l’œilleton d’un judas.
– C’est amusant, dit Berthe, radieuse. Peut-être que je vais rire !
– Très amusant.
Fiodor se ressaisit et s’approcha. L’irrationnel n’était pas son fort, il n’était jamais à court de petites explications sensées : la cave était inondée à ras bord, un effet d’optique dans l’eau ...
Le gros miroir oblong et humide l’épiait sous le grand store d’une paupière clignotante.
Le journaliste voulut se remettre de son étonnement en touchant du doigt l’ŒIL – une surface singulièrement élastique, d’ailleurs.
Le réfectoire poussa un grondement d’indignation, aussi violent qu’un coup de tonnerre.
[à suivre]