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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
[Auteur non identifié]

 

Le Visiteur

 

« Sei­gneur, béni soit ton saint nom ! On a perdu notre chemin ! s’écria la monitrice à notre vue.

Cest le but, non ? » remarqua un nain à la barbe blanche et très myope qui devait tenir le rôle de Prof.

Mon guide se fit aussitôt rassurant, et cette bonhomie – que j’appellerai personnellement de la condescendance – plut à la grande bringue de monitrice comme aux enfants, car ils entou­rèrent Virgile et le regardèrent avec une confiance émer­veil­lée que je ne partageais pas : le chef, quoi !. Il n’en fut pas un, en revanche, pour oser lever les yeux sur moi, ou alors de biais, en douce, moi si bienveil­lant. Ils n’avaient pas l’air de me distinguer tout à fait, ou ils craignaient de le faire, ou ils sentaient seulement une pré­sence. Ou une odeur. Jamais satisfaits, ces ga­mins.       

Ils étaient de plus en plus affo­lés. Ils en ba­fouillaient !  Que faisaient-ils là ? On naccourait tou­jours pas à leur se­cours ! Ils voulaient com­prendre ! Mais per­sonne ne les avait prévenus qu’ils ne com­pren­draient ja­mais, qu’il ny avait jamais rien à com­prendre même à la fin. C’était ce que je considérai mon devoir de leur ap­prendre.

Les orphelins sentreregardèrent avec une consterna­tion où se mê­lait un certain dépit.

« Alors c’est que la vie vaut pas la peine d’être vécue ?

Y a pas autre chose à faire que vivre ? »

À l’évidence je leur devenais de plus en plus visible. Un peu trop, même, et je ne les impressionnais plus beaucoup, on s’ha­bitue à tout : ils se mirent à me faire connaître leur fa­çon de penser quand j’avais de si bonnes idées.

 

« Nous allons vous sortir de là, n’ayez crainte, leur dit mon guide, un peu trop débonnaire.

Il ny a plus de sortie, dit Joyeux, très grognon. »

Il revenait de l’emplacement où aurait dû se trouver le por­tique dentrée, selon ses estimations : il avait disparu ou se dé­robait. Quelques hommes ou femmes, silencieux, obser­vaient par les fe­nê­tres en­trouvertes ou assis sur les esca­liers des pavil­lons dans l’Unité O. La plu­part avaient des blouses d’infirmiers, l’air de prendre le frais pendant une pause. Ils semblaient me regar­der avec intérêt. Je m’apprêtais à leur parler, quand Virgile m’en empêcha.

« Ils ne vous voient pas vraiment. Ils dorment les yeux ouverts. Ils rê­vent. »

 Dormeur, apparemment très concerné, tou­cha lépaule d’un homme bas­culé dans le ton­neau d’une gout­tière, la secoua, eut bien des pe­tits gestes ai­mables. Enfin, très énervé, il lui tapa sur la tête. S’il en con­çut après coup une cer­taine gêne, elle fut vite dissipée, car mon guide, qui ne dormait pas, lui, poussa devant lui les orphelins comme une por­tée de poussins.

«Vous ne savez pas quelles réactions ces êtres risquent d’avoir s’ils se réveillent. Ne les dérangeons pas. Qui m’aime me suive ! » 

 

Quoi que j’en aie pensé, nous avons pris à la suite de Vigile par la cour 1, devant lancien poste de garde, puis par l’Unité E et le ter­rain de bas­ket. Je ne sais trop pour­quoi un des orphelins, le dernier de la file des or­phe­lins, semait des cail­loux der­rière nous. Le petit Poucet, vrai­sem­blablement. Ce garçon était égaré dans sa tête.

Il y avait en notre compagnie à ce moment une trentaine d’enfants, en­ca­drés par les 7 nains à bonnet jaune sensi­blement plus âgés. Jen­ny, la monitrice, expliqua, en marchant aux côtés de Virgile, que ses orphe­lins avaient com­mencé à se perdre dans le bois du parc – ce qui, après tout, était le moins qu’ils puis­sent faire, étant donné leur rôle officiel. La situation s’était large­ment com­pli­quée quand ils s’étaient vraiment per­dus : ils avaient pas­sé là un temps déme­suré. Plusieurs, d’ailleurs, comme Simplet, s’étaient égarés pour de bon, on ne les avait plus retrouvés.

« On nous prend les gosses, hein ? ai-je chuchoté au Chef.

Oui. L’un après l’autre.

Du premier choix, ai-je confirmé pour déten­dre. »

Jenny parlait toujours, d’une petite voix tremblotante : le pe­tit groupe ef­frayé tra­ver­sait les four­rés dépines et de ronces de la sorte d’ensorcellement qui stupé­fiait le minuscule bois, quand Timide avait remar­qué une po­terne bleue, entrou­verte dans une mu­raille, et par la­quelle ils étaient pas­sés.

Ils étaient à l’asile.

 

 

 

[à suivre]

 

 

 

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