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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
[Image de Frank Robert Dixon]

 

< VINCENT LAMBERT > (1)


 

Un homme vient souvent s’asseoir sur le banc pour me re­garder. Il a une canne sur laquelle il appuie ses mains croi­sées. Il plisse les yeux tout le temps. Il a l’air de bien m’aimer ou je l’ennuie moins que ses sem­blables. J’agite un peu mes branches pour le remercier. Il sourit. C’est une sorte de conversation.

Il me semble que les êtres humains ont de la peine avec les conversations, mais je ne suis peut-être pas bon juge. Si j’en­tends correctement ce mot de peine elles leur donnent du cha­grin et ils font des efforts. Ils parlent trop ou pas assez. Alors, pourquoi parler ? Je suppose qu’ils en ont besoin pour ne pas se défolier. C’est une sorte de sève, mais la sève est ma­lade. Ils ont la maladie de la parole.

Je n’ai pas cette malchance. Je n’ai aucun pas à faire vers les miens. Le vent nous entretient les uns des autres. Nous appre­nons beaucoup par notre ami. Il feuillette un peu par­tout de quoi nous instruire. S’il a de la chance, ce sera la thèse d’une étu­diante qui occupe une des chaises payantes du Jar­din. Ou un jeune homme qui lit des ro­mans d’amour. Le vent, après avoir mouillé le bout de son index, tourne les pages. Nous en savons beaucoup sur l’amour. En attendant, ils se tournent le dos sur les chaises. Le jeune homme ne regarde pas les voiliers d’enfant dans le grand bassin de notre Jardin. La jeune fille ne me regarde pas. J’ai beau m’agiter, rien n’y fait.

Qu’ils soient mal desservis par la nature explique peut-être la solitude de ces êtres malchanceux. Quand j’étais tout petit j’ai cru que le vent les bougeait dans tous les sens. Je ne pou­vais expliquer autrement leur agitation perma­nente, cela me dépas­sait. Le vent m’a assuré n’y être pour rien. Un jour où il était d’humeur morose, il a supposé qu’ils cherchaient où se re­poser. Il m’a expliqué les cimetières. D’abord, je n’y ai pas cru. Il y a forcément autre chose dans leur vie. J’ai fini par me faire une rai­son, même si je ne sais toujours pas la véritable cause de cette migration innom­brable, mais le sûr est qu’ils en ont une. Ou le croient. Je leur souhaite en tout cas, puisqu’apparemment il leur arrive de mourir, qu’ils meurent debout.

C’est alors que le vent nous a appris l’existence de natures mortes. Cela m’a fait un peu peur. Il nous a raconté qu’il était entré dans une maison vide près d’ici. La porte avait été arra­chée de ses gonds. Le bois avait dû avoir mal. Le vent a visité. C’était immense. Il y avait partout sur les murs des empreintes blanches de cadres et de mobilier. Le vent nous a expliqué : d’anciens arbres dont il ne res­tait que les fantômes. Il pensait qu’un drame avait eu lieu. Un tableau était oublié : des fruits posés sur un drap. Une nature morte. Des fruits posés de toute éternité a-t-il dit. Nous avons ri. Une nature morte ? Comment est-ce pos­sible ? Il s’est vexé, il a dit qu’il y avait plus d’âme dans ce tableau que dans toute la forêt réunie, et on ne l’a plus revu de quelque temps. C’était bien plus effrayant que la nature morte. Comment dispenser notre amour sans lui ? Les graines retomberont à nos pieds et nos enfants pous­se­ront en nous dis­putant l’air que nous respirons. Il n’y aura plus de société. Il n’y aura que la jungle. Quand il est reve­nu, le vent nous a traités d’idiots. Je vous ai fait peur, hein ?

Ai-je une âme, moi aussi ? Qui n’en a pas ? Cette âme est faite à l’image du dieu de la forêt. Nous sommes sous la protec­tion de cette divinité bienveillante. La bonté du Très Feuillu a tout de même des limites. Si l’un de nous se pousse trop haut de la cime – s’il se pousse vers Lui – il arrive que le dieu se fâ­che. Sa fureur est toute rouge et nous brûle. Nous y perdons beau­coup des nôtres par la faute de l’un de nous. N’est pas dieu qui veut.


 

 

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