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Publié par Michel Castanier

satire comédie littérature autobiographie autofiction portrait fragment sotie pamphlet
[l’image est de Théodule Ribot]

 

Le Déluge et moi

 

29 mars

 

Si le cadavre est un déchet de l’être il ne devrait y avoir aucune impudeur à le regarder avec un certain détache­ment. Or, est-ce culpabilité ? depuis le début des évè­nements, j’ai quelque chose du petit Cham découvrant avec horreur et fascination le corps nu du père Noé complète­ment saoul. De quoi être chassé de je ne sais quelle tente pa­ternelle et procréer ma propre tribu d’êtres farouches, écheve­lés et déguenil­lés, si j’en crois la Bible, Hollywood et Victor Hugo.

 

Là n’est pas l’essentiel. La nudité cadavérique est un scandale. La nudité d’Agathe Dujardin un doux miracle. Allez y comprendre quelque chose. Il est vrai que se cou­cher auprès d’un corps froid est une entreprise au-delà de nos forces. Ce n’est pas la peur de s’enrhumer. Il n’y a vraiment que ce cinglé de Neptune pour mettre dans son lit un animal marin, à priori glacé (l’image des poissons déver­sés dans la fosse me hante). Je tiens cette information d’Homère, mais Homère n’est pas un témoin infaillible pour l’historiographie, Ulysse a propagé des tas de fake news par toute la Méditerranée. Tout de même, cela doit vouloir dire que ce qui nous intéresse vraiment – ce qui nous passionne, nous autres pauvres humains  – est d’être au lit avec le métabo­lisme tiède d’un mammifère, quel qu’il soit, épouse, en­fant, cousin, chien, hamster, cochon d’Inde, le reste étant littératures cour­toises et autres. Passons.

 

Je me dois d’en revenir à la mésaventure de la veille au soir. J’eus en ce bref instant qui dura toute une vie l’occasion d’observer dans la fosse – bien mieux que sur la plage – comme l’inégalité sociale différenciait aussi l’aspect des corps. Cinquante ans d’entretiens corporels de tous ordres – talc pour bébé, cosmétiques les plus chers, coiffeurs haut de gamme, manucures de haut vol, longues cures en thalassothérapie thermale, liftings à peine sensibles – ne nous feront ja­mais confondre la nudité d’une chef d’entreprise avec celle d’une employée des postes. Si j’avais eu des goûts nécrophiles cela m’aurait laissé rêveur. Ce n’est pas le cas, je précise.

 

La vue d’un corps passé dans un autre régime de la na­ture nous laisse dans l’effroi, le dégoût et la stupeur. Tout cette vie pour si peu ? L’agitation incessante n’était donc bel et bien d’aussi peu de sens qu’il y semblait dans nos moments de lucidité, surtout la nuit, confronté à l’inaction des insomnies ? L’action, notre salut ! C’est inadmissible et forcerait presque à lire l’Ecclésiaste, si on avait le cœur plus solide.

 

Une si grande consternation m’a fait perdre mon sujet : ma visite de la veille à la fosse. Quoique, à bien y réflé­chir, je ne sois pas si sûr de l’avoir jamais quittée.

 

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