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Publié par Michel Castanier

 

Au même moment

 

1

 

À mon retour dans la pommeraie il faisait déjà nuit et je dé­couvris Zaza à genoux, en larmes et en prière sous un pommier. Dans la détresse on s’adresse à qui se trouve là, plus ou moins, au barman du comptoir d’un bar de nuit ou à l’arbre d’un verger. Elle levait les mains en imploration vers le feuillage. Le pommier lui répondait par de petits murmures gentils. La bouche rouge de Zaza avait l’innocence d’une cerise.

Sans doute chacun dans la ferme cherchait à sa façon une lo­gique, un mo­dèle d’expli­cation. Dès les premières atteintes du Mal on se réfugie dans un vieux mythe désuet, dans une supers­tition, dans une mosquée. C’est toute l’hu­manité qui avance à re­culons.

La noce en déroute s’était regroupée autour de mon arrivée comme si j’étais un spartiate se défilant de la bataille des Thermopyles, autrement dit d’un air soupçonneux.

– Il faudrait peut-être ranger les femmes.

– Pardon ?

Je ne pense pas avoir eu l’occasion de parler vraiment de Pierre Langlot, l’ex­tra­va­gant Pierre, qui se voulait arrogant, fine­ment amusé par l’humain, un petit balcon fleuri au-dessus du monde. Mon sacré éditeur, repartant aussitôt de ma cellule avec mes dernières pages, ne me laisse aucun répit pour me relire, parfois je me de­mande si, assez peu au courant des derniers progrès incommen­surables de nos lois, il ne me croit pas dans le couloir de la mort.

 

 

2

 

– Ce type qui rôde…

Pierre avait le tic de toucher du bout du doigt la commissure de ses lèvres quand il allait en sortir une bien bonne, il ne ferait pas long feu au poker, il ne fit pas mieux à TF1. Il avait encore de la belle époque le look 90, rebelle et décontracté, le jeans baggy porté bas sur les hanches, le cheveu hérissé et la chemise en fla­nelle surdi­mension­née – du temps où il passait à la télé et courait dans les couloirs avec un sacré succès auprès des filles, ces connes. Aujourd’hui, il était comme une panoplie d’enfant, conservée dans la naphtaline au fond d’une malle de grenier, et qui se mite et jaunit. Par bonheur, la population avait échappé au costume de baba cool comme de beatnik, premières invasions de la colonisation américaine, il était trop jeune, en somme.

– Il choisit des femmes.

– Un misogyne ?

– Les néo-féministes l’auront énervé.

– En général ces gens-là ont eu des soucis avec maman.

On se tourna vers César, mais César n’était plus là.

– Un psycho, je suppose, ai-je dit.

– Un psycho a dans le cœur un bébé empaillé.

Il n’y avait vraiment pas de quoi se marrer à cette idée, mais Pierre s’était appuyé d’un rire de complaisance. Il aurait détesté qu’on le prenne au sérieux, il ne voulait rien avoir de commun avec un brave garçon ; homme-tronc aux Actualités de 20h durant quelques mois, ac­coudé à la rampe de lumière au-dessus du pays, petit sourire en coin pour annoncer un drame, il avait exaspéré le téléspectateur confiant sur son canapé, on aurait cru qu’il se moquait des mal­heurs de l’hu­ma­nité, donc du spectateur confiant, mais il n’y pouvait rien, c’était une confor­ma­tion de son visage comme de son esprit, sa causticité c’était son destin, quel crédit accorder à un homme qui plaisante éper­dument ? La chute des tours de New York, le dernier bébé chez les Windsor, le gé­nocide rwandais y perdent en res­pectabilité.

Fernand Kaspar m’étreignit l’avant-bras.

– Dis donc, le soleil se lève tôt, aujourd’hui.

– Un caprice ?

Je me dégageai en douceur. La pommeraie était un théâtre d’ombres chinoises sous le ciel de plus en plus étoilé. Un foyer rougeoyant, vaguement remuant, allumait quelques pommiers au loin. On a tous couru comme des fous. Il n’empêche que je me demandais pourquoi on courait ensemble – sans doute pour se surveiller les uns les autres.

 

[à suivre]

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