ORION – XX N’empêche que 1
N’empêche que
1
Je ne me connaissais pas cette disposition au paludisme comme à hurler ou à rire de tout, et surtout du pire, ce dernier mode d’emploi de la vie sans doute indispensable sinon confortable. J’estimais que Claire était la seule qui se comportait normalement, si ce n'est sa nouvelle propension à mener une enquête de police, comportement que j'ai d'ailleurs un peu trop méconnu. Ce n’est pas moi qui l’ai prévenue du sort de Max, je tremblais encore, sous une pile de couvertures. Elle a pris les choses en main. D’après ce que m’a dit Sara elle se contrôlait, elle se contrôlait même excessivement, selon elle. Sara aussi se contrôlait très bien. Claire est allée voir le corps de Spenser malgré les protestations. Elle s’est tenue longtemps devant, elle s’est penchée, elle a tourné autour comme si elle le flairait, en fait elle cherchait un indice.
Elle a paru suivre une piste, elle reniflait beaucoup, sans doute à cause de la pluie, elle renonça au niveau de la petite cabane de jardinage où étaient les outils d’appoint et le râteau, cette même pluie mélangeait tout, il n’y avait plus que de la boue où se perdaient les dernières traces d’une vie.
2
Pendant ce temps, Aloysius me demandait de me calmer, il n’avait pas l’air content de moi, je lui réclamai une cigarette, il a bien voulu. J’étais descendu de ma chambre sous l’abri de mes couvertures. Je les ai pliées avec soin sur la table de la cuisine et j’ai fumé. Léo approuvait, debout sur le seuil, mais il était difficile de savoir ce qu’il approuvait.
Il était peut-être temps d’évoquer le projet YPMOD, dans son état il s’expliquerait. Aloysius m’a servi un grand verre de mescal et j’ai oublié, nous sommes sortis sur la terrasse du Mont blanc bras-dessus bras-dessous, hilares, il buvait pas mal de mescal depuis quelque temps, il le sifflait avec le ver de la bouteille, ce qui confirmait le masque funéraire de son visage. Claire était de retour, mon petit chien de chasse, elle avait les yeux rouges et sa lèvre inférieure frémissait. Elle n’assurait pas tant que ça, je ne pouvais plus faire confiance à Sara. J'oubliais qu'on peut ne pas aimer Claire
Je voulus prendre Claire dans mes bras pour la protéger, la rassurer, la câliner, souriant, amusé, mais elle n’a pas eu l’air d’accord, elle avait son enquête. Je me suis senti délaissé, quasi abandonné, près de fondre en larmes, le mescal sans doute. Elle recommença son tour de piste, l’heure du crime, situer nos présences, nous chercher des mobiles, et là j’étais bien placé pour le Guinness record des mobiles, elle n’a pas insisté, j’en avais trop, je ne pouvais être qu’innocent, ça n’aurait pas fait sérieux.
Nous la laissions faire, tous assis dans les sièges, je dirai même que la regarder s’agiter était agréable et nous enfonçait un peu plus dans notre torpeur, dans le goût de la torpeur. La pluie s’est arrêtée, c’était dommage, elle ajoutait à la torpeur. Tout à coup on n’a plus eu de raison de ne rien faire, on était à découvert.
On s’est bougé.
– Max a dû d’abord être estourbi, dit Pierre. C’est trop de souffrance. Il n’est pas possible qu’il n’ait pas gueulé à réveiller…
Il s’est tu, gêné. Il ne me regardait pas. Sara l’entraîna par la main hors de la terrasse, elle avait du caractère, ce n’est pas le scandale qui la perturbera. Exunt. Claire s’est mise à pleurer. C’étaient les nerfs.
[à suivre]