1001 Vies (594) : Le Déluge et Darius Chopineau (14)
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« Notre odeur est merveilleuse, elle nous ravit, mais ce n’est pas l’opinion unanime. Sans doute nos ruminations mentales auraient le même effet consternant. La pensée brut émet des essences assez peu raffinées, il faut la filtrer. Ce serait écrire mais peu écrivent et c’est pourquoi tant de mauvaises odeurs émanent des réseaux sociaux, mais bien sûr il ne serait personne pour se reconnaître dans mes propos malveillants, puisqu’on ne se connaît pas, justement, et que pourtant on s’aime éperdument. Mais qui aime-t-on ? »
Ce jour-là il a voulu tenir ce rôle – faire le Darius – jusqu’au bout, jusqu’à ce que, épuisé, dévitalisé, il admette par défaillance ou lucidité que ce n’est qu’un rôle, un personnage possible parmi tant d’autres, pas plus véridique, à peine plus intéressant, à peine digne des notes que je prends ici.
Personne ne s'attendait à de tels aveux, à ce coeur ouvert comme un livre, nous en étions touchés et avec gratitude accueillions une sincérité si désarmée - puis certains rougirent, comment avaient-ils pu se laisser prendre au dernier tour de piste du Grand Cirque Chopineau?
« D'ordinaire, on se reconstitue sans cesse. Pas de visage, mais nombre de visages se superposent à la même absence de visage et passent. Pas de voix profonde mais des voix, des voix étrangères qui parlent en nous, la personnalité un trompe-l'œil, nous sommes le miroir des autres, jeu de reflets entre nous, un défilé dans le labyrinthe de verre à la fête foraine de la société. Chacun – s’étant connu un peu – sait qu’il est nombreux. S’il dit quelque chose de l’homme, l’homme ne sait rien de ce qu’il dit. »
Les femmes parmi nous ne sont pas les moins convaincues, ses mésaventures ont été les leurs, ses préoccupations amoureuses, son excessif égotisme.
Tout de même, j’étais impressionné. Il faut n’avoir aucune vanité, n’est-ce pas, pour se donner en spectacle à ce point, être son propre montreur de la marionnette des passions et du vide d’une existence exige un orgueil serein et la conscience extrême de sa liberté, de son indépendance et de son optimisme sacré.
Nous voyons Darius Chopineau souffrir, se débattre, s’essouffler, se reprendre et finalement agoniser. Nous souffrons avec lui et pour nous, assis sur tout ce qui se trouve de confortable dans la chambre du malade.
[à suivre]