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Publié par Michel Castanier

22 février

Qui est Georges ?

Nommer n’est pas toujours une activité salubre et rassu­rante.

C’est ce qui fait que la vie en société est certes possible mais qu’elle est un souci, sans que ce soit le seul.

Le plus cruel qui vienne à l’esprit est – mettons – votre patron.

S’il est votre patron qu’êtes-vous pour lui – surtout s’il ne vous connait pas, hypothèse non né­gligeable dans la rata­touille des 18834 employés.

Un ami.

C’est ce qu’il a dit dans son discours d’entrée en fonc­tion : l’entreprise c’est nous, mes amis ! Fini de glander. Il vous a nommé. Vous êtes son ami. Cette appropriation est révol­tante. Il va vous dévorer à grands coups de fourchette.

Vous n’êtes rien. Une dispersion de sensations. Une mo­tilité permanente d’impressions, de phrases inachevées, d’associations vagues, de trous de mémoire.

Il n’y a que votre patron pour vous organiser.

Vous êtes son ami.

Ces considérations mi-figue mi-raisin en disent beaucoup sur vous et votre épouse mais assez peu sur Georges.

Vous le savez aussi bien que moi, je ne suis pas votre pa­tron. Qui suis-je alors ? Je ne sais pas. Laissons ça pour l’instant.

20 février

Que dire si Lucie s’est présentée la veille au cours d’une soirée mondaine, vous avez échangé vos noms, Lucie fait comme si de rien n’était mais ces préliminaires troublants – son nom dans votre bouche – vous excitent fâcheuse­ment, vous vous tenez à peine. Lucie est déjà votre chose, votre sextoy, ou c’est tout comme.

Ce petit bouton de rose Lucie vous le tournez et retournez sous vos lèvres au cours de l’entretien calme et distancié de­vant le buffet. Comme vous êtes amusante, chère Lucie. Vous sa­vourez le par­fum dé­lectable qui fond dans la bouche, même si un jour vous serez inca­pable de formuler ce nom en votre for inté­rieur sans que votre es­tomac se torde de rage. Vous êtes ensemble dans une intimité de lit sur le par­quet d’une in­commensurable salle de bal – un parquet cosmique où vous tournez comme deux grains de cocaïne. Sa main dans la vôtre au moment de se dire adieu a plus d’effet qu’un canard vibrant dans l’eau de votre bain. Assu­rez-vous dis­crètement que le devant de votre pantalon n’est pas taché. Vous la reverrez, vous connaissez cette loi : revoir toujours deux fois une inconnue qui comp­te­rait dans une vie.

Seulement deux fois.

Rien n’a échappé à Suzie. Elle vous regarde par-dessus la tête chauve de cet homme qui se penche interminablement pour lui baiser la main. A cette vue, parfaitement inconsé­quent, vous crieriez à l’adultère si vous l’osiez. L’indignation ne passe pas vos dents qui mordillent votre lèvre inférieure. Une voiture vous emporte tous deux – vi­sages parallèles éclairés par le tableau de bord digne du Boeing 797 – dans la nuit où fuient les panneaux si­gnalé­tiques. Il va fal­loir s’expliquer.

– Comment as-tu pu ? – Qu’est-ce que j’ai pu ? – La bouche de ce type chauve sur ta main devant tout le monde. – J’aurais dû attendre d’être seule ? – Ce geste est si intime. Le contact des lèvres est indiscret. – 136 secondes. – 136 se­condes ? – Le temps que tu as mis à tripoter les doigts de cette inconnue. – Tu n’as pas de montre, Suzie. Tu n’en as jamais eu.

Chacun le sait, votre épouse est capable du pire s’il le faut : elle appuie la main sur sa poitrine pour toucher l’horloge de son cœur.

Vous gardez votre calme légendaire.

– Qui était cette créature ? – C’est Lucie. Qui était ce chauve abominable ? – C’est Georges. Qui est Lucie ? – Qui est Georges ?

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