La Geste du potager (8)
Cependant, le petit maître ne se reproduisait toujours pas.
Bientôt, elle consulta un thermomètre rectal à tout bout de champ, et cette singulière occupation était une fameuse surprise. Elle ne pensa plus que par cycles ; établit des courbes à l'aide d'un calendrier de papier millimétré qu'elle avait punaisé au-dessus du lit, et s'absorba dans des calculs complexes où Arthur entrerait en scène à J12.
Les insectes avaient sous les vitres de la véranda de sombres luttes muettes au-dessus des pavots violets et des énormes épis roses de delphiniums.
Bertille était vêtue de ce pull marin qui lui descendait aux chevilles, où s’étaient prises des herbes et des ronces aux coudes (et même, en abondance au dos comme si le petit maître s’était roulée joyeusement dans un buisson). Elle observait la fumée des mauvaises herbes brûlées qui se propageait sur la pelouse.
– Nous étendrons tes chemises de nuit et le linge fraîchement lavé sur les buissons de romarin et de lavande.
Carré dans un confortable siège rénové en toile de Jouy, Arthur décalottait un œuf dur en faisant part de sa confiance dans ses herbes, qui sont la réussite du novice.
– Je sais ce qui t’inquiète, ajouta-t-il, ayant gobé l’œuf.
La bonne confiance de Bertille s’était en effet sensiblement détériorée.
– Nous aurons mon enfant, n'est-ce pas ? dit-elle.
– Les soucis se propagent et se ressèment d’eux-mêmes. Nous aurons notre petit calomédon.
Pour son examen séminal, Arthur n'avait pas terminé sa lecture attentive de la Feuille, bulletin d'information des semenciers, quand il fut conduit de la salle d'attente du laboratoire au seuil d'une cellule encombrée d'un fauteuil de cuir noir volumineux, où Bertille et lui auraient pu tenir à deux.
Un gros pied de chrome le surélevait, à la façon des fauteuils de dentiste, afin que nul ne s'abuse. Une dame pensive désigna une fiole de verre.
– ... Et dès que ce sera fini, vous n'aurez qu'à ouvrir la porte et attendre. Quelqu'un passera.
Une fois la clé tournée par ses soins, assis dans son habitacle, Arthur se branla avec ferveur.
Ayant obtenu un millilitre de quintessence glauque, affecté d'une étrange mélancolie, il se tint sur le seuil de sa cellule, appuyé de l’épaule au chambranle, une main sur la hanche, un peu vacant, Tristan et Iseult, par Béroul, éd. 1968, chez Champion, fourré dans sa poche ; à son départ il salua avec amitié un personnage sculpté dans le tympan de l’église gothique en face du laboratoire. Une tête de girafe dans une corolle d’hibiscus, collée sur la paroi vitrée de l’abribus où il patientait, annonçait l’ouverture de la grande Galerie de l’Evolution au musée municipal.
L'autocar roula le long de l'alignement des pavillons à la sortie de la ville, sous la colonne du réservoir d'eau, par les champs verdâtres, dans la rue centrale d’Aizes où évoluait une foule de lentes morphologies patientes, il manœuvra autour du rond-point, klaxonna joyeusement à la demande d’Arthur devant le grand portail bleu de l’Etude.
Bertille était à son bureau, le nez dans les aventures du Mouron rouge. Elle trouva suspect qu’il ait eu autant de sympathie pour le Branleur au fond de sa niche gothique.
Déconcerté, son bagage à ses pieds, Arthur grattait la tête du Gros Chien comme on se gratte le front, pensant au petit homme de pierre, à leur infortune commune, à la géhenne.
Ses spermatozoïdes allaient être innombrables et véloces.
A la lecture du document médical, Bertille dit son admiration pour les « têtards » de son ami, frottant le revers de sa veste, avec respect, du bout des doigts. Il ne s'explique pas qu'elle ait craint l'immobilité complète de ses gamètes.
Elle prend la main d’Arthur et l'entraîne, par l’escalier de la Salle des Ventes, jusque dans leur chambre, sous le papier quadrillé.
Elle place un coussin à ses reins et écarte les jambes.
Il bouge, émet.
Dès que trois millilitres de sperme eurent été déposés au fond de l'utérus du petit maître, elle demeura sur son coussin, inerte et le nez au plafond, sans admettre qu’il la touche, et semblant se vivre comme une coupe de lait qui aurait craint de se renverser.
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