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Publié par Michel Castanier

La Geste du potager (8)

Cependant, le petit maître ne se reproduisait tou­jours pas.

Bientôt, elle consulta un thermomètre rectal à tout bout de champ, et cette singulière occupa­tion était une fa­meuse sur­prise. Elle ne pensa plus que par cycles ; éta­blit des courbes à l'aide d'un calendrier de papier milli­métré qu'elle avait pu­naisé au-dessus du lit, et s'ab­sorba dans des calculs com­plexes où Arthur entrerait en scène à J12.

 

 

 

Les insectes avaient sous les vitres de la véranda de sombres luttes muettes au-dessus des pavots vio­lets et des énormes épis roses de delphiniums.

Bertille était vêtue de ce pull ma­rin qui lui des­cendait aux che­villes, où s’étaient pri­ses des herbes et des ronces aux coudes (et même, en abon­dance au dos comme si le pe­tit maître s’était roulée joyeu­sement dans un buisson). Elle obser­vait la fumée des mau­vaises herbes brûlées qui se propa­geait sur la pelouse.

– Nous étendrons tes chemises de nuit et le linge fraî­che­ment lavé sur les buissons de romarin et de la­vande. 

Carré dans un confortable siège rénové en toile de Jouy, Arthur décalottait un œuf dur en faisant part de sa con­fiance dans ses herbes, qui sont la réussite du novice.

– Je sais ce qui t’inquiète, ajouta-t-il, ayant gobé l’œuf.

La bonne confiance de Bertille s’était en effet sensi­ble­ment détériorée.

– Nous aurons mon enfant, n'est-ce pas ? dit-elle.

– Les soucis se propagent et se ressèment d’eux-mê­mes. Nous aurons notre petit calomédon. 

 

 

 

Pour son examen séminal, Arthur n'avait pas ter­miné sa lec­ture attentive de la Feuille, bulletin d'information des semen­ciers, quand il fut conduit de la salle d'attente du labo­ra­toire au seuil d'une cellule encombrée d'un fau­teuil de cuir noir volumi­neux, où Bertille et lui au­raient pu tenir à deux.

Un gros pied de chrome le surélevait, à la fa­çon des fau­teuils de dentiste, afin que nul ne s'abuse. Une dame pen­sive dési­gna une fiole de verre.

– ... Et dès que ce sera fini, vous n'aurez qu'à ouvrir la porte et attendre. Quelqu'un passera. 

 

 

 

Une fois la clé tournée par ses soins, assis dans son habi­tacle, Arthur se branla avec ferveur.

 

 

 

Ayant obtenu un milli­litre de quintessence glauque, af­fecté d'une étrange mélanco­lie, il se tint sur le seuil de sa cel­lule, appuyé de l’épaule au cham­branle, une main sur la hanche, un peu vacant, Tristan et Iseult, par Béroul, éd. 1968, chez Champion, fourré dans sa poche ;  à son départ il sa­lua avec amitié un personnage sculpté dans le tympan de l’église go­thique en face du labora­toire. Une tête de girafe dans une corolle d’hibiscus, collée sur la pa­roi vitrée de l’abribus où il patientait, annon­çait l’ouverture de la grande Galerie de l’Evolution au mu­sée munici­pal.

L'autocar roula le long de l'ali­gnement des pa­villons à la sor­tie de la ville, sous la co­lonne du réservoir d'eau, par les champs verdâtres, dans la rue cen­trale d’Aizes où évoluait une foule de lentes mor­phologies pa­tientes, il ma­nœuvra au­tour du rond-point, klaxonna joyeusement à la de­mande d’Arthur devant le grand por­tail bleu de l’Etude.

Bertille était à son bureau, le nez dans les aventures du Mouron rouge. Elle trouva suspect qu’il ait eu autant de sym­pa­thie pour le Branleur au fond de sa niche go­thique.

Déconcerté, son bagage à ses pieds, Arthur grattait la tête du Gros Chien comme on se gratte le front, pensant au pe­tit homme de pierre, à leur infortune commune, à la gé­henne.

 

 

 

Ses spermatozoïdes allaient être innombrables et vé­lo­ces.

A la lecture du document médical, Bertille dit son admi­ra­tion pour les « têtards » de son ami, frottant le re­vers de sa veste, avec respect, du bout des doigts. Il ne s'expli­que pas qu'elle ait craint l'immobilité complète de ses ga­mètes.

Elle prend la main d’Arthur et l'entraîne, par l’escalier de la Salle des Ventes, jusque dans leur chambre, sous le pa­pier qua­drillé.

Elle place un coussin à ses reins et écarte les jambes.

Il bouge, émet.

Dès que trois millilitres de sperme eurent été déposés au fond de l'utérus du petit maître, elle demeura sur son cous­sin, inerte et le nez au pla­fond, sans admettre qu’il la touche, et sem­blant se vivre comme une coupe de lait qui au­rait craint de se renverser.

 

#conte #comédie dramatique ‪#‎série littéraire

 

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