Le Monde flottant III : Tout ce que je sais d'Emma – épisode 39 Erreur 404
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Erreur 404
Pourquoi ne s’appelèrent-ils pas, au fait ? Elle eut très tôt une étrange prudence – une méfiance où était déjà logé ce qui serait le choix de son mari. Pour sa part, il n’y songea même pas.
Dans le dialogue où le corps est un obstacle, on s’écoute à peine, on répond au jugé. La voix téléphonique est un médium plus subtil : l’élocution, les inflexions, les silences, dégagent un sens supplémentaire : une arrière-conversation qui est sensible à l’ouïe fine et où tout se dit. Il y a des voix qui s’aiment. Il y a des voix mal éduquées. Il y a des voix avec qui il serait impensable de coucher, des voix avec qui l’on passerait sa vie ! Aimer est aimer une voix. La voix n’est peut-être pas l’âme mais elle est tout l’être.
Ils n’ont pas connu leur voix.
LUI – Corfou ! Tu en finis avec moi comme nous avions commencé, mais sur un si terrible jeu de mots, cette fois.
Mon impuissance s'agrandit jusqu'à la démesure. Rien de tel qu'un voyage conjugal pour que je m'amoindrisse dans le lointain à la dimension d'un insignifiant timbre-poste.
C'était le pire qui puisse m'arriver. C'est le mieux qui te puisse arriver.
Je le sais, maintenant, je t'ai perdue.
ELLE – Je garde ton souvenir vivant. Comme on doit garder les souvenirs.
Il ne voulait pas être un souvenir. Elle ne pouvait pas lui être un souvenir, elle serait toujours là. Ainsi poursuivait-il en ligne, publiquement, puisqu’il ne savait qu’écrire, cette allégorie secrète, câline et caressante de leurs amours imaginaires : Le Monde flottant. Quête de chevalier errant et appels d’amour sonores, grandiloquents et vains comme des cors de chasse dans leur forêt imaginaire et qui n’est plus que cendres aujourd’hui où l’action, la vitesse et la prédation sont les vertus modernes.
Il n’aurait plus d’autre adresse qu’elle, quoi qu’il écrive à l’avenir. Il n'aurait d'autre but que de lui plaire et de l'empêcher de se souvenir de lui.
LUI – Les souvenirs n'ont aucune vie, ce sont des lémures.
En revanche, les regrets hantent.
ELLE – Mes souvenirs sont vivants. Quelquefois même vivaces.
Mes souvenirs sont encombrants.
Quelquefois gênants.
Quelle était la nature du mal de l’amoureux de notre rouquine infernale – une fois posé dès les débuts qu’il est un funambule sur le fil numérique ? La fantaisie médiévale qu’il écrivait à cette époque en écho de leur vie nous dit : le vertige des hauteurs, bien sûr. L’amour l’aspire dans un mouvement ascendant qui le laisse tout tremblant, effaré. Il peine alors à retrouver son équilibre. Et d’ailleurs, à quoi bon ?
Il était légitime que l’absence d’Emma ait suscité un être invisible : une nymphe des bois, le personnage principal d’une « vie courtoise », bien sûr amoureuse d’un apprenti funambule. Siphonette était son cadeau. C’était naturel, en somme. La part de nature dans cette aventure surnaturelle que leur valait la Toile.
Géographie baroque où écrire leur conte était soutenir à bout de bras la présence d’Emma. Ne pas voir qu’elle n’est plus avec soi. Ne pas le croire était l’avoir toujours avec soi.
Sombre forêt circulaire et ses enchantements détestables.
Empreintes démesurées de passages lourds : les maris.
Coulées de bave spermatique sur le vert des fraîches fougères : les maris.
Gouttes de sang dans la neige : les amants.
LUI – C’est de la foi. J’ai foi en toi. J’ai foi dans mes bras.
(à suivre)