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Publié par Michel Castanier

 

Le Cercle des Explorateurs enthousiastes aventures fiction série humour
Rodin

 

UN NOUVEAU PROPHÈTE DE L’APOCALYPSE (suite)

 

 

12. Une femme étrange apparaît du fond d’un chemin de terre et présente une requête au Joyeux.

Le visage de l’inconnue – caché dans un mas­que de fer – est si lourd que son menton harnaché est posé sur sa poitrine et si en­com­brant qu’il ne pourrait passer le seuil d’une porte ordi­naire, même en se mettant de profil. Le Joyeux en véri­fie dis­traite­ment les écrous, serre une vis, ce qui fait pousser à la dame des cris de bonheur qu’étouffe le fer.

– Allah Akbar !

–  Respectons les coutumes locales, murmure le Joyeux à l’intention du professeur.

La femme à la muselière d’acier descend sans plus un mot dans une ve­nelle étroite entre des rochers. La neige lui arrive jusqu’aux yeux et coule dans les fentes du masque : il dispa­raît progressivement sous la couche blanche où ne reste qu’un boulon qui s’est détaché et sombre peu à peu sous la neige.

–  C’est un suicide ! dit Vénus, absolument stupéfaite. Comment peut-on se suicider ? C’est un grand mystère chez les dieux.

Style, posté sur un à-pic de glace brillant comme un dia­mant, consi­dère la disparition du boulon avec bonne hu­meur et reprend sa marche, accompagné de sa suite.

–  Je crains que ces gens n’aient pris l’existence trop au sé­rieux, dira le professeur à madame Vénus qui m’a relaté cette affaire sans s’exprimer le moins du monde sur les conditions de leur retour à Rose-les-flots.

 

 

Grandeur de notre président

 

 

1. Après avoir rencontré la Mort à Samarkand et lui avoir offert un poste au Pavillon des expositions d’Ani­maux et Créa­tures extra­ordi­naires, le second tort que le professeur – cet homme pourtant ré­puté pour avoir un champ de vi­sion de trois cent quatre-vingt de­grés – ait eu dans ces circons­tances sera encore une fois sa trop grande bienveillance : il aurait dû – une fois reconnues les Portes des Jardins cé­lestes – les fermes à double tour. C’était lâcher la Vie sur le monde. Les effets de cette erreur al­laient être incalculables.

En effet.

 

2. On finit par prendre conscience que les hauteurs de la falaise, là où niche le cimetière du vieux port, réson­naient depuis quelque temps du choc des poings dans les cer­cueils : les morts deman­daient à sor­tir.

Ce matin-là, une voiture des pompes funèbres passa le portail, s’arrêta un moment devant une fosse, repassa à toute allure le portail et descendit comme un obus vers les quais de Rose-les-flots, freina à mort derrière le ci­néma Ba­bylone, devant la jetée ; recula dans la rue Auguste-Comte ; trouva un ac­cès laté­ral par l’avenue de Tocqueville ; dispa­rut der­rière la Pharmacie du rond-point ; réapparut de­vant l’Hôtel de ville ; monta vite la rue Saint-Paul, des­cen­dit d’autant les marches du vieux port ; virant dans un sens, dé­ra­pant dans l’autre ; engouf­frée dans la salle poly­valente du Centre multisports ; à peine sortie, suivant le pont mobile du grau ; par­fois elle était prise en chasse par la famille du défunt exaspérée, à d’autres fois elle semblait la pour­suivre.

Le Ressuscité finit sa course dans les eaux du port où il n’y eut personne pour aller le repêcher.

 

3. Il n’est pas si étrange – une fois le Paradis de retour sur terre – que des résurrections s’en soient suivies dans notre petit port d’attache. C’est même assez logique. Le professeur – mis au courant – tint pour l’occasion une de ses confé­rences les plus fameuses.

– Grâce à la pensée géographicomé­taphysique nous sommes passés à travers les lignes de conscience qui assu­rent le monde phy­sique hu­main – au-delà du champ de per­ception des ani­maux, au-delà même de la ligne mi­nime des réactions végé­tales – de l'autre côté : du point de vue de la mort.

Il avait l’air sérieux.

 

[à suivre]

 

 

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