La Vie au bureau
Vie peu recommandable d’Arlette
Arlette, qui a très mauvaise réputation, n’y est pour rien.
A la moindre émotion, très nerveuse, la réceptionniste saute : un effleurement de la main et on la retrouve posée sur le palmier dans le patio des bureaux, un baiser sur le front on la récupère effarée dans le placard des factures si on a de la chance, parfois perchée sur la photocopieuse, intacte et ahurie, ou bien à califourchon sur l’armoire des recouvrements, l’air effarouchée, ses narines palpitant, le regard noyé sous ses paupières enflées comme des cloques par la volupté. Elle n’a pas le moindre bon sens.
En amour, ne vous y risquez pas, Arlette est si fragile, il n’est personne pour oser l’approcher, cette sensitive au tempérament de midinette, à peine le nez dans un hebdomadaire people à la cafétéria, entre en consomption, un serrement de main elle se brise, une caresse elle en meurt.
Arlette, originaire de l’Euphrate aux grands crocodiles, apparaît ; réapparaît ; elle s’y perd, elle vous perd, ce sont des gambits du cœur inoffensifs, elle a même une présence simultanée en plusieurs lieux, jamais très loin, elle s’échange, elle roque, ce sont des gambles, de petits coups hasardés sur un territoire finalement assez modeste mais qui lui suffit : une sorte de Carte du Tendre, son cœur, une géographie délicate où elle va de Tendre-sur-Estime à Tendre-sur-Reconnaissance en suivant Inclination, fleuve au cours intranquille.
Peu d’êtres ont la vie intérieure d’Arlette Bergeron, la Femme-grenouille, originaire de l’Euphrate aux grands crocodiles.