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Publié par Michel Castanier

roman littérature
Tarkovski

 

3

 

 

Julien vit le premier mois de son installa­tion à Jouy-les-Gonesses dans des pièces vides, sans se sou­cier d’aménager, sans même accrocher de ri­deaux aux fenêtres, se contentant d’improviser un ameuble­ment léger de sièges de toile et de futons autour de l’ordinateur, dans la salle où s’ouvre le balcon, en homme qui serait déconcerté de ne plus séjourner dans des hôtels. Il ne s’en explique pas ou plaisan­te.

– On ne sait si j’arrive ou pars. 

– Tu ne déménageras plus ? s’inquiète An­dréa, qui est tendre et atten­tive pour lui.

Un soir où vous l’avez invité à dî­ner, touché de tant de discrétion assi­due, il se plaint de n’avoir ja­mais connu sa vraie place dans la société, ou plutôt d’être quelque peu dé­placé, toujours dans une fausse po­si­tion, égaré, en souffrance, si bien qu’il n’est ja­mais chez lui nulle part – une impression que con­forte pour vous le désar­roi de ce long corps qui l’encombre.

– C’est à peine si je suis là, dit-il, gaiement incrédule, vous considé­rant l’un après l’autre avec stu­péfaction.

Félicité, qui ne manque pas de bon sens, lui dit :

– Mais tu as ta place : elle est auprès de nous, tu es notre voisin

La plus jeune de vos filles lui paraît aussitôt posséder un sens de l’ob­servation hors normes – douée d’une sagacité qui le confond (sans doute une dot de sa mère, et il consi­dère Éliane avec ferveur). Julien suivra donc un conseil si futé. Il se plaît quelque temps à cette idée : il s’installera pour de vrai.

Et dès que la nuit est passée, il a pris une déci­sion : il peindra l’hôtel particulier !

 

__________

 

 

Éliane est certainement heureuse de cette occa­sion de parler pinceaux, mélanges, métier – de la grande ani­ma­tion qu’il met dans sa vie.

Ils ont de longs concilia­bules enthou­siastes, auxquels participent les enfants, agi­tées, ra­dieuses, excitées d’avoir une opi­nion qui compte et que Julien médite avec gravité. Il y a sur les murs de sa demeure des traces de cadre, des emplacements où le soleil a déteint l’ancienne pein­ture, des zones sombres, fa­nées. Julien, dans un premier temps, veut peindre en sorte de n’avoir pas l’air d’avoir peint, heureux de ce raffinement dont il prétend qu’il s’en con­ten­tera. Les en­fants mettent tout leur talent d’oratrices à le dis­suader.

Dès lors, ils imaginent des couleurs – folles ! dis­cor­dantes ! vous dit Éliane, indulgente et ravie.

Ils se pen­chent dans l’atelier sur l’ébauche de figures étranges qui se­ront dessi­nées aux murs. Il semble que l’hôtel particu­lier doive être une succursale égarée de la Foire du Trône – une baraque de phé­nomènes hi­deuse et drôle où seules vos filles subju­guées, votre femme momentanément idiote et votre ami en forain hilare et farfelu peuvent imagi­ner de vivre.

Ces débats joyeux remontent régulièrement d’un étage par l’intermé­diaire des enfants et de Julien qui patien­tent sur les chaises dans la salle d’at­tente pendant une consulta­tion, pour faire masse, dit-il, pour qu’on vous croie extrême­ment sollicité.

– Nous avons désormais un sujet d’entente pri­vilégié. Ton épouse aime à me parler de sa peinture – du coût de l’aquarelle et de l’art des dilutions. Tu sais que j’ai quelques notions là-dessus. Il a même été question que nous al­lions au musée d’Orsay avec les enfants. Cela ne te gênerait pas ? 

C’est à cette époque qu’Éliane peint un tableau d’une clairière dans le bois de Jouy-les-Gonesses où n’apparaît plus Blanche neige. Côte à côte dans l’atelier, en l’absence de l’artiste, vous vous réjouis­sez.

– Elle va mieux ! vous dit-il, radieux, secouant votre épaule.

 

 

[à suivre]

 

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