Approche – 25
C’est Noël, ses cadeaux extravagants, puis la Saint Sylvestre, et l’époque des occlusions intestinales, des gastro-entérites et des refroidissements. Éliane visite davantage les prisons. Julien voit beaucoup vos filles. Andréa elle-même est malade : il connaît de longues journées à la veiller dans sa chambre…
– Je suis dans son lit (je veux dire sur le bord de son lit, cher père) et nous papotons et rions. J’ai un mot de trop, inconsidéré. Elle sourit de côté, tête basse, mais si elle souriait en me regardant ce serait à peine soutenable…
Vous vous souvenez comme il s’était exaspéré à l’époque, si vous entriez dans la chambre de votre fille.
– Comment Éliane ne s’occupe-t-elle pas plus d’elle, toubib ? s’écriait-il, aussitôt debout. Ta femme est toujours à ces visites de dame patronnesse !
– Je suis peut-être là pour ça.
– Moi aussi, vous a-t-il dit, convaincu, semblant faire front avec vous. Elle m’a parlé d’un simple bobo, avec cette désinvolture ! Cette moquerie ! Comme si elle me parlait de toi !
L’alcool ou la douceur de sa confession ont défait en lui une multitude de petits nœuds psychiques et moraux. Il s’épanche, il se répand, ému, malfaisant, sentimental, nuisible.
Ce sont les premiers beaux jours et les sœurs sont au bain dans la grande baignoire en fonte…
Il se renverse dans son fauteuil, l’arrière du crâne appuyé dans la main, pour observer longuement le plafond.
– Ce léger bonheur de l’instant, si précieux, si volatile : Andréa au bain…
Charnel, équivoque, trouble, il s’enchante.
– Ce sera la grande affaire des quatre-heures. À la table d’hôte où nous nous tenons pour le goûter – à cause de la vapeur de la bouilloire et du linge chaud entravé devant la baignoire, un grand feu infernal brûle et des lueurs de souffre et de phosphore éclairent les lunettes embuées d’Éliane et la chair en sueur des enfants. Après leur bain dans la vaste baignoire de la cuisine, derrière l’alignement des draps d’où les sœurs sortent dans des étiolements moites et roses – je ne sais par quel miracle Andréa, d’abord assise sur le banc près de sa sœur, à la suite d’insensibles déplacements, est en peignoir dans mes bras. Nous parlons, coquets, nous refusant, insistants, pudiques, discrets, invisibles. Andréa enfin a bien voulu donner le plaisir tant réclamé : elle a délié sa natte. Elle en est comme nue ou fardée : oh si timide, convaincue de son péché, elle se laisse entrevoir, puis implore Maman. Éliane reconstitue sa fille dans les liens de ses doigts…
Ses mains, comme trop exposées, à présent enfouies dans ses poches, il tourne sur lui-même et, dans son égarement, semble figurer une danse. Il doit s’apercevoir que sa joie orgueilleuse vous exaspère : vous haïssez cette posture désinvolte, dynamique, conquérante – cette gaieté faussement discrète au sujet de ses amours qui lui avait été particulière au cours de votre adolescence.
[à suivre]