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Publié par Michel Castanier

roman littérature récit
Granick

 

 

C’est Noël, ses cadeaux extravagants, puis la Saint Sylvestre, et l’époque des occlusions intesti­nales, des gastro-entérites et des refroidisse­ments. Éliane visite davan­tage les prisons. Julien voit beau­coup vos filles. Andréa elle-même est malade : il connaît de longues journées à la veiller dans sa chambre…

– Je suis dans son lit (je veux dire sur le bord de son lit, cher père) et nous papotons et rions. J’ai un mot de trop, incon­si­déré. Elle sourit de côté, tête basse, mais si elle souriait en me regardant ce serait à peine soute­nable… 

Vous vous souvenez comme il s’était exaspéré à l’époque, si vous en­triez dans la chambre de votre fille.

– Comment Éliane ne s’occupe-t-elle pas plus d’elle, toubib ? s’écriait-il, aus­sitôt de­bout. Ta femme est toujours à ces vi­sites de dame patron­nesse !

– Je suis peut-être là pour ça.

– Moi aussi, vous a-t-il dit, convaincu, semblant faire front avec vous. Elle m’a parlé d’un simple bobo, avec cette dé­sinvol­ture ! Cette moquerie ! Comme si elle me parlait de toi ! 

L’alcool ou la douceur de sa confession ont dé­fait en lui une multitude de petits nœuds psychiques et moraux. Il s’épanche, il se répand, ému, mal­faisant, sentimental, nui­sible.

Ce sont les premiers beaux jours et les sœurs sont au bain dans la grande bai­gnoire en fonte…

Il se ren­verse dans son fauteuil, l’arrière du crâne ap­puyé dans la main, pour observer lon­gue­ment le plafond.

– Ce léger bonheur de l’instant, si pré­cieux, si vola­tile : Andréa au bain… 

Charnel, équivoque, trouble, il s’enchante.

– Ce sera la grande affaire des quatre-heures. À la table d’hôte où nous nous tenons pour le goû­ter – à cause de la vapeur de la bouilloire et du linge chaud en­travé devant la baignoire, un grand feu infernal brûle et des lueurs de souffre et de phosphore éclai­rent les lunettes em­buées d’Éliane et la chair en sueur des enfants. Après leur bain dans la vaste baignoire de la cuisine, derrière l’alignement des draps d’où les sœurs sortent dans des étio­le­ments moites et roses – je ne sais par quel miracle Andréa, d’abord as­sise sur le banc près de sa sœur, à la suite d’insensibles déplace­ments, est en peignoir dans mes bras. Nous parlons, coquets, nous refusant, insistants, pu­diques, discrets, invisibles. Andréa enfin a bien voulu donner le plaisir tant réclamé : elle a délié sa natte. Elle en est comme nue ou fardée : oh si ti­mide, convaincue de son pé­ché, elle se laisse entrevoir, puis implore Maman. Éliane re­constitue sa fille dans les liens de ses doigts… 

Ses mains, comme trop exposées, à présent en­fouies dans ses poches, il tourne sur lui-même et, dans son égare­ment, semble figurer une danse. Il doit s’apercevoir que sa joie orgueilleuse vous exaspère : vous haïssez cette pos­ture dé­sin­volte, dynamique, con­quérante – cette gaieté faus­se­ment dis­crète au sujet de ses amours qui lui avait été parti­culière au cours de votre ado­lescence.

 

 

 

[à suivre]

 

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