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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
[de Marc Giai-Miniet]

 

Dormeur

 

Une unité de recherche ultra-secrète avait été installée au temps du docteur Rose dans l’Usine – ainsi qu’on l’appelait assez mystérieusement. Les salles auraient dû être obscures et dé­sertes, or il ny en avait pas une qui ne soit éclairée de lampes halo­gènes dans ce sec­teur. Le temps pres­sait. Nimporte quoi pouvait pousser une porte à toute vo­lée, salivant à la vue du dernier des 7 nains à bonnet jaune qui était demeuré seul après la fuite odieuse de ses compagnons, errant sans fin et sans but..

Pas­sant de laboratoires énigmatiques en salles d’autopsie et en blocs opé­ra­toire, Dormeur dis­cutait avec lui-même : tant de lu­mière était-il un avan­tage ou un in­convé­nient, y trouve­rait-il du se­cours ou pas, quelle était la couleur du cheval blanc d’Henri IV et quel pouvait bien être le sixième sens – quand il enten­dit le dé­clic bien connu dune gâ­chette (il avait une science sûre de ce genre de détail par la té­lévision du Foyer) qui le précipita dans une vaste salle inoccu­pée. Il y avisa une ouver­ture pratiquée au ras du sol en son centre, une sorte de trappe métallique au-delà d’un enclos de barrière rouge, sou­leva à toute vo­lée le lourd abattant bom­bé et le re­ferma sur lui.

Il n’y avait pas d’issue.

 

Dormeur se trouvait dans une cabine en fer plutôt étroite, par­faitement ténébreuse, en apparence tota­lement vide à lexception de ce qui lui sem­bla de la végétation et d’un peu d’eau. Du moins était-il ca­ché, tapi sur quelque chose d’assez mou, peut-être des cous­sins. La tension ner­veuse et lépuisement phy­sique qui ré­sultait de cette jour­née lamenèrent à être si excité qu’il eut très vite, en réac­tion, envie de dormir, ici-même, ses ge­noux en­ca­pu­chonnés dans ses bras, ses paupières alourdies – et bien­tôt Dormeur fi­nit en effet par s’as­soupir.

Il humait dans un de­mi-sommeil une curieuse odeur d’humidité, de fer et de jar­din potager. Il cherchait malgré sa las­si­tude à res­ter quand même éveillé, il avait l’impression de n’être pas tout à fait seul, mais il ne s’y at­tarda pas, réfléchis­sant à ce qu’il dirait pour se justifier d’être là où il était, si un adulte lui en demandait la raison. Il y allait peut-être de sa faute mais ce n’était pas une bien grande faute : il ne s’était pas du tout dissimulé pour attendre l’heure creuse de la nuit et sortir, un large coutelas de boucher à la main, avant d’égorger tout l’orphelinat et dérober le vaisselier, non, non. Les am­poules, à cet ins­tant, sallumèrent au pla­fond de la salle, sans qu’il le sache. S’il s’était dissimulé, c’était pour….

 

La trappe se souleva et un doigt de lumière l’éclaira. Dor­meur entendit un doux rire qui se voulait sans doute apai­sant. Une main souleva l’orphelin par le col de sa chemise pour l’examiner à la lumière de la trappe.

ON n’a jamais su se résister, n’est-ce pas !

ON est une nature heureuse.

Dormeur, suspend­u en l’air, se lécha subrepticement les lèvres.

Vous pouvez me lâcher, non ?

La main de la Momie le lâcha et il fit un grand floc dans le bouillon avant que la trappe ne se re­ferme.

L’énorme cocotte en fonte se mit à ronronner d’aise.

 

Quelqu’un manifestait hautement sa désapproba­tion, il avait pour cela ses raisons, ne les communiqua pas, et le nombre en la circonstance fait loi. Aramis s’éloigna dans le trottinement de ses talons compensés, raide. Un parfum d’en­cens et plusieurs per­sonnes singulières s’éclipsèrent à sa suite hors de l’Usine.

C’est comme Noël, que voulez-vous ! Une sorte de tradi­tion…

Une odeur tenace de légumes demeura en suspen­sion dans la salle – le seul indice de la présence se­crète du commanditaire de ce drame ?

 

Comme on sortait des lieux, Maître Boucherose, marchant à petits pas, murmura pour son voisin d’un air prudent, modéré, sous le couvert de son masque de chauve-souris, qu’il se pouvait, il n’en était pas sûr, il le sug­gérait, il baissa soudain la tête et se tut. Cousin Glock, qui ne paraissait pas très content, demanda ce que ça voulait dire ces airs de pu­celle.

Le gosse a pu avoir faim, ça mange beaucoup à cet âge, d’après mes rensei­gnements.

En effet. Ils sont très obs­tinés dans ces cas-là.

Boucherose regar­da ses pattes poilues avec une curiosité exa­gérée.

C’est à cause du bal masqué. Il s’est déguisé en bouil­lon Khub. Et puis voilà… Il s’est noyé. Même pas un suicide. Un accident…

Il y eut un silence long comme un train de marchandise.

– Ce sera ma plaidoirie, conclut l’avocat de la Maison Nogre.

Aime mieux ne rien dire, dit Cousin Glock, remar­que jamais rien qui puisse blesser.

 

[à suivre]

 

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