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Publié par Michel Castanier

conte fantastique
[de Tim Walker]

 

9

Un sang d’encre

 

La Maison Nogre

 

Aime pas qu’ON me dispute, alors jobéis, adore donner satis­faction.

Lancienne buanderie un service spécial af­fecté à cette sec­tion particu­lièrement dangereuse était une petite en­clave avant la fameuse salle des douches où étaient les Bai­gnoires. De leau noyait les premières marches du lavoir. Le plan mi­roitait légè­rement sous la lu­mière diffuse qui passait une lu­carne sale. Quel­que chose avait dû bou­cher lorifice dévacua­tion. L’eau noire débordait. On aurait cru du sang dans le bas­sin.

Ai le genre petite fille sage.

La petite voix un peu aigre avait crissé dans le silence. L’eau mêlée de grésil fondu répandait régulièrement sa mousse sur le car­relage. La serpillière au bout du ba­lai – d’un gris de vieille barbe – flairait le sol et mar­mon­nait près des portes aux lucarnes bardées de fer.

Bref, suis très conne.

 

Elle net­toyait l’Hôtel des bains. Elle était très seule. Elle était toute grosse. Et très ac­tive dans le silence de lasile, marmonnant, marmottant, bourdon­nant comme une abeille ouvrière, manches retrous­sées, un chif­fon noué sur le bout du crâne, son seau dans une main, avec les éponges et les grat­toirs appen­dus, et le balai dans lautre main, net­toyant les murs, nettoyant les sols, net­toyant sans cesse – pe­tite senti­nelle mélan­colique dans l’hôtel dé­sert.

Une légère altération écarlate lui attira l’œil. La tache rouge sur le carrelage blanc avait le diamètre d’une pièce de mon­naie. Une tache de sang. Elle se précipita à crou­petons, remuant des hanches.

Sa main gauche tenait le grattoir et sa main droite ap­puyait sur le dos de sa main gauche. Elle frottait à la paille de fer, avec une sorte de fré­nésie indignée. Poussant des épaules, elle donna plus de force à son action et grignota quelques centimètres carrés. La serpillière, le seau d’eau et la paille de fer suivaient consciencieusement son évolution.

Voilà. Une bonne chose de faite, ON sera con­tent, ON aime lordre, le rangement.

La giclée d’éclabous­sures rouges avait été dure comme du fer. Elle ré­suma ses activités : elle avait lavé la dame de compagnie, elle l’avait mise à sécher sur le fil de l’étendoir avec les autres, elle avait fait le ménage, ba­layé le sol, mis de lordre.

 

Elle se redressa, du revers dune main sessuya le front dun air las, un peu somnambulique, et de lautre jeta un vieux cube de sa­von de Marseille qui troubla longuement la sur­face de leau rouge dans le bassin. Elle sen alla, très digne après sa jour­née, se prépa­rer pour le bal, car les grandes roues cerclées de fer ne tar­deront pas à broyer les pavés sous le porche, les fouets à cin­gler le dos des chevaux écumants : le carrosse dor et de porce­laine sera bientôt à la porte.

Elle s’assit par terre au mi­lieu de la salle vide où étaient les douches encore humides. Il ne lui était pas néces­saire d’allumer pour se voir, il ne lui était pas non plus besoin d’une coif­feuse où se reflé­ter, comme au château. Elle sabsorba dans le reflet d’elle-même, le reflet intérieur, ses doigts dé­licats étaient des pa­pil­lons sur les pots de cosmétique immatériels, les fla­cons, les peignes et les boîtes à fard incorporels. Une ré­sille d’or main­tiendra son chi­gnon. Elle aura l’air de sortir d’un ta­bleau du Musée de l’Imaginaire.

Elle al­luma un interrupteur proche. Éteignit aussitôt.  Mais voilà. Elle avait tout vu.

ON va me disputer ! Oh qu’ON va me disputer !

 

 

[à suivre]

 

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