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Publié par Michel Castanier

satire comédie littérature autobiographie autofiction portrait fragment sotie pamphlet
[l’image est de Michel Rouquette]

 

5 juin


Je soupirais bien fort devant la Nymphée des Jardins et quelqu’un qui croyait sa vie précieuse me contourna en grommelant.

À défaut d’une Instance suprême qui aurait à rendre raison, les habitants étaient à présent en quête de responsables, ce qui se traduisait en défiances mutuelles comme dans d’innombrables poursuites judiciaires, car ils avaient la tentation des causes dans ce siècle laïque, mais la perpétuelle réclamation de maîtrise humaine les rendra aussi fous que la quête de Dieu. Que diable ! dis-je à la Nymphée en la quittant, nous pouvons vivre sans pourquoi, nous ne sommes plus des enfants.

Après avoir monté les marches de la terrasse, je vis un homme embrasser tendrement le tronc d’un tilleul et le remercier d’être. Je m’écartai largement, mais sans malaise. Comme on le voit, si on sait voir, je me calmais, je me réconciliais avec l’humain, il était temps. J’étais loin des considérations récentes qui relevaient presque de la crise nerveuse à l’idée de ma fragilité dans la foule.

Il est vrai que j’aimais bien changer d’avis, ce qui prouvait une grande liberté d’esprit, aucune pensée ne m’arrêtait longtemps. Je n’aurais pas été un grand politique, je n’aurais pas aimé avoir une seule opinion et m’y tenir, quel ennui ! D’une certaine façon, par un goût en accord avec ma fonction, j’étais une éponge, un être informe, sans contours, je me modelais sur mon interlocuteur. C’est pourquoi je sortais peu et me gardais de rencontrer des personnalités fortes, ne voulant pas y perdre toute consistance, même si parfois je me disais – je me disais que ce ne serait peut-être pas plus mal. En somme, j’épousais mon époque et l’accompagnais dans ses noces funèbres et joyeuses.

L’ami des tilleuls en coupait des feuilles et les mettait dans un sachet. Ne pas déranger. J’aimais beaucoup les simples d’esprit. Je quittai les Jardins pour rentrer chez moi, selon les vœux du pouvoir établi en considération de mon âge. Ayant été confiné, je ne pouvais parler que depuis ce point de vue très étrange – qui était le point de vue de la mort.

Profondément solitaire au milieu de solitaires sous le même régime funeste mais dont ils ne voulaient rien savoir, pour la plupart gambadant par les rues et les places publiques, la fleur au fusil – je vivais au jour le jour chaque nouvelle émotion comme potentiellement la dernière. Le mot de la fin. Et qui devait être le plus dérisoire et le plus beau.

Ainsi m’arrivait-il d’être tellement ému par une œuvre d’art que je l’abandonnais en cours et n’osais plus y revenir, de peur de l’abîmer.

Ainsi en sera-t-il de la vie.

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