1001 VIES (503) : SOLANGE CREPON – 30

Inventaire
– Robineau en pleine crise, et très pensif, m’a expliqué avoir toujours laissé les marsouins sauter hors de l’eau, les hippocampes danser en ascenseur le long d’une herbe marine, les dauphins rire, les mouettes chahuter : ses idées.
– Rien que ça !
– Le cher homme ne maîtrise plus rien. Si ses notions maritimes sont légères, en revanche il sait tout à présent de l’art des couteliers. Ciseaux, rasoirs, lames, haches, couperet... Rien qu’il ne connaisse sur le bout des nerfs.
– On a tous vu avec effroi des photographies de la Vierge de Nuremberg, ce monstre de fer qui se refermait comme un œuf sur sa victime et l’embrassait dans ses pointes d’acier.
– Il est le jaune ?
– La moindre mobilité de ses pensées, la moindre association d’idées, le moindre souvenir, Robineau se recroqueville sous la lame glacée, il se débat et se déchire…
– Le dernier de leurs baisers aurait été le baiser de la Vierge ?
Une silence religieux passa un certain temps sur nos thés, cafés, décaféinés, cubes de sucres, sucre sans sucre.
– Une forme d’assomption ?
– Il nous contamine…
Méditation
Ces gens avaient du bon sens, finalement.
Le monde, qui est notre seule représentation, est insuffisamment vrai. La vérité se cache dans notre dos. Sa révélation tarde, elle nécessite au moins la pose d’un rétroviseur que nous fournit le temps et par lequel entrevoir ce qu’il en est, mais n’est-ce pas toujours trop tard ? L’accident a eu lieu, le choc, les brisures, la tristesse qui coule et se répand. Ce qu’on n’a pas su – ou voulu savoir, le plus souvent – était déjà là et nous attendait, ni rieur ni morose, simplement là, indifférent. C’est un progrès.
Gigantomachie
J’entrais dans de profondes réflexions qui me mettaient en cause.
Je me disais : je ne suis pas assez viril. La grossièreté du cœur, pas mal partagée, y aide mais n’est pas un tel atout. La ruse et la malveillance sont de plus sûrs gants de boxe pour le succès d’un homme entreprenant.
Je comprenais qu’un certain manque d’agressivité m’ait été dommageable. Comment progresser sans avoir du punch, progresser vers quoi, peu importe, importe le punch et la grande satisfaction de soi qu’il procure. En revanche, ne jamais dire ni oui ni non, ainsi qu’à mon habitude, est un handicap qui n’autorise que peu d’espoir d’avancement, tout au plus une vie décente dans un placard. Mais, à bien y réfléchir, puncher à tout va n’est pas non plus une vie. Être punché pas mieux.
J’aurais préféré une plus grande maîtrise dans mes coups, n’en être pas prodigue, mais les placer avec efficacité et minutie, une bonne fois pour toutes. Cette agitation vaine – cette perturbation des airs qu’a été ma vie de moulin à vent fut un combat contre le vide. Le bras s’y fatigue, se risque une dislocation du biceps, le gain est modéré, le vide proclamé vainqueur. Le cocard assuré.
[à suivre]