1001 VIES (507) : SOLANGE CREPON – 34

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Être ou n'être pas
L’amie m’assurera d’abord que je suis – à ma grande surprise. Ce qui va lui permettre à son tour d’être. On passe aussitôt de l’être à l’avoir. Car l’amour est possession mutuelle. Droit à la propriété. D’où s’ensuit droit de jambage respectif, autrement dit mais moins joliment droit de cuissage. L’amour ? Une excellente acquisition d’un bon rap. qu. / pr, avec vue sur soi. Que la propriété soit le vol ne gêne plus.
En quoi êtes-vous ? Solange Crépon vous dit vos qualités – que vous ne vous connaissiez pas. Elle confirme votre importance – qui paraissait modérée. À défaut, elle vous crédite d’une marge de progression digne d’un grand footballeur en herbe. Que vous restiez en herbe pour être bientôt tondu ras (Crépon vous quitte) et vous êtes en friche derrière les pas du cheval de votre Attila. Vous êtes brûlé. Vous ne lui êtes plus ce vaste pré paisible où brouter. Le voici galoper vers d’autres pâturages. Le leurre n’a pas tenu.
– Ce qu’était l’une, si rousse ? Une hallucination.
– Ce que sera l’autre, si blonde ? Une autosuggestion.
– Ainsi de suite par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel féminin.
Le Sexe d’en face
Il faut du temps pour admettre n’avoir été tout au plus que locataire – avec ses droits mais aussi ses devoirs, négligés. Il faut l’expropriation. On était chez soi, on y était bien, chaussons, veston d’intérieur, bonnet de nuit et feu de cheminée. Vous viviez à crédit. Dès lors que vous êtes chassé de tant de confort, vous n’êtes plus vous-même, ou plus autant que vous aviez cru l’être. Vous voici à la porte. Enfermé hors de vous, vous dormez sous les ponts de l’amour, si vous dormez. Votre inexistence foncière apparaît comme jamais. Ou plutôt elle apparaît plus que jamais.
– Fuir les tondeuses à gazon, quelle que soit la marque !
– Certes, mais pour aller où ?
– Nous ne sommes qu’exactement ce que nous sommes, Eros.
– Rien. Ou plutôt une apparence.
– Une girouette de réactions : l’autre nous précède toujours.
– Un miroir aux alouettes ! Ce dispositif de petits reflets où viennent se prendre les uns les autres, avides de se voir les uns dans les autres et pas très capables de percevoir l’oiseleur – chose séduisante mais trompeuse, nous dit le dictionnaire.
Au perroquet borgne,
fanal sinistre qui rappelle les vieux ports
Il ne semblait pas que dans ce sombre troquet monté des Enfers la situation fût plus heureuse, à en juger par les mornes entretiens, coude à coude au comptoir..
– Des gens qui s’ennuient ont besoin d’être distraits.
– La société occidentale – sans guerre et sans spiritualité – réclame d’être bousculée.
– Multiplier les chocs de toute sorte est notre occupation favorite. Le désert résonne de tintamarres, le désert est illuminé de mirages un peu trop spectaculaires, la nuit du désert fulgure de distractions impayables.
– Servi par une information « soutenue » et monochrome – rayée d’une pluie de pubs – qui ne laisse aucun répit à ce nid de la pensée : le silence, l’homme énervé vit – survit – de flashes en clashes.
– Toujours ébloui, jamais éclairé.
– L’hyperactif s’agite, le sénile somnole dans la maison de retraite européenne.
– Nous sommes à Guignol : l’internaute – gendarme de sa vérité – tape avec son gros bâton en bois sur toute pensée qui bouge.
– Une multitude de ressentiments rances monte au front d’une foule de frustrations putrides.
– C’est le festival de Cannes des Ego, c’est le festival de cannes des pensées boiteuses, des jambes de bois, des incultes-de-jatte, des moimoimoi.
Où peut mener la Morosité dans notre beau pays m’impressionnera toujours.
[à suivre]