1001 VIES (510) : SOLANGE CREPON – 37
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6
Aux dames de France
Le ciel était blanc. La Maison carrée bleue. Les rues roses. Mes souliers nettoyés par une averse matinale. La ville aurait pu être paisible.
Nous regardions une jeune femme interroger son téléphone portable.
– Et nous, Georges, qu’est-ze qu’on attend de la vie, hein ? Qu’est-ze qu’on attend, nous ?
L’appareil se taisait, indécis.
Elle s’éloigna en zézayant comme une abeille.
Balibar se tourna vers nous.
– Autrefois, elles étaient une énigme.
– Elles donnaient à rêver.
À ces mots je ne pouvais me contenir.
– À rêver !
Pellerin ne ménageait pas ma sensibilité, j’en étais tout déconfit, et quand il m’eut traité de cabotin de l’amour, je crus en mourir, mais Morin vint à ma rescousse, en sortant de son cabas un livre de Jean Rostand, qu’il ouvrit à une page cornée. Qu’il s’agisse de la Vie des crapaud m’étonne encore.
Il lut avec la voix monotone du guide pendant la visite des ruines au château du marquis de Sade.
– Le crapaud a la vie très dure. Il survit plusieurs heures à la décapitation, plusieurs jours à l’avulsion du cœur, quarante jours à l’ablation des poumons, plusieurs semaines à l’amputation du museau en arrière des yeux.
– Et ?
– La réputation des crapauds auprès des femmes est étrange. Ils finissent toujours accusés d’avoir été des princes charmants.
Ce n’était jamais pour Morin qu’une occasion – cette fois opportune – d’exhiber sa culture, mais passons outre, le seul avantage des douleurs amoureuses est qu’on s’y avance en terrain connu. C’est même un point commun qu’elles possèdent avec le football. Une sorte de terrain d’entente bien entretenu par l’ensemble de la population. Chacun est un coach de vie pour l’amoureux. L’amateur de ce sport d’équipe y va de sagaces commentaires du haut des gradins, de sages conseils d’occupation de la surface de réparation et de son expérience très personnelle pour maintenir la pression sur l’adversaire.
Rien n’est plus fédérateur qu’un conte de fées pour adultes consentants.
[à suivre]