ORION – XVI En attendant 2
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Une semaine passa. On avait tous des coliques à cause des pommes. On mangeait tout de même des pommes. Fernand et Kevin, la main dans la main, regardaient beaucoup la télévision. Jusqu’à tard dans la nuit. Elle avait toujours été plus vraie que ce qu’ils vivaient. Plus que jamais. Je pensais que comptait plus que tout l’acte d’être assis sur le canapé, la main dans la main, quoiqu’il arrive dans le poste, où il n’arrivait plus rien. Il y avait des tensions entre Claire et Max. Il ne répondait plus à toutes les questions. Il décevait et jamais une femme ne pardonne d’être déçue, surtout une jeune femme, à priori si confiante. Aloysius, Zaza et Clément vivaient leur vie. Une vie étrange. J’en parlerai.
D’ailleurs, nous étions tous de plus en plus étranges.
Pierre s’était donné une mission : il suivait partout Oscar qui suivait le fantôme de Cordélia, qu’il était bien le seul à voir. On peut supposer que Pierre cherchait à se faire pardonner son éternel sourire d'ironie. Il voulait montrer combien, en fait, il était compatissant. Il n’abusait pas, au contraire de trop de gens avec leur pitié, simplement il n’était jamais très loin du couple, inquiet qu’il leur arrive malheur, sautant d’un arbre à l’autre dans la pinède pour n’être pas vu des deux promeneurs enlacés, assis sur une marche en-dessous de la terrasse où Oscar plaisantait avec Cordélia, adossé à la porte de la chambre où Oscar faisait l’amour, Pierre prêt à sauter dans la chambre s’ils se faisaient du mal.
Il me l’avait dit, il craignait que le mari ne se pende ou ne se jette tête la première depuis le balcon de leur chambre, qu’il se laisse étrangler par le fantôme dans leur lit, qu’il prenne un raccourci pour retrouver son épouse une fois pour toutes. Seulement Pierre s’épuisait, Oscar ne dormait plus, il avait ses raisons, la conversation avec Cordélia était bien plus passionnante qu’elle l’avait jamais été, l’amour aussi, plus passionnant, plus frais, plus heureux, il aimait tant son rire, si rare, il aimant tant cette voix nasale qui l’avait aussitôt étourdi, il aimait ce double de Cordélia qu’elle avait si bien caché derrière la fumée de ses cigarettes blondes. Ce n’était pas aussi intéressant pour Pierre qui avait tout de même plus de culture que Cordélia et moins de crédulité qu’Oscar, il finit par s’ennuyer ou craquer physiquement, mais au fond ce fut la même chose, il s’endormit.
Il n’aurait pas dû.
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Une autre semaine était passée, du moins il me semble. On s’habitue. Il y eut d’ailleurs des pauses dans le mal qui nous affectait. À moins que, d’un certain temps notre état ne s’étant pas dégradé, cette stase dans les dysfonctionnements – ce foyer purulent – nous fût apparu une sorte de normalité, l’alcool et les sédatifs y aidant. C’était ne pas voir que nous tombions d’un building.
J’occupais beaucoup de mon temps à surveiller l’évolution du couple de Claire et de Max. Sara m’observait les observer.
Que voyait-elle, exactement ? Patience et sagacité des femmes de tout temps pour qui les hommes sont d’éternels sales gosses : attendre, laisser faire, superviser d’un œil. Parfois cela s’appelle aimer : être attentif sans peser. Ici, sévir quand l’enfant est trop turbulent, Assez joué ! sors de ta balançoire, sois responsable, choisis. Nous, les hommes modernes, sommes une génération d’enfants gâtés.
Je n’allais pas jusqu’à sauter d’un arbre à l’autre à l’exemple de Pierre, mais tout de même j’étais aux aguets. Les couples dansent quand ils s’aiment et se donnent au plaisir d’être. Ceux-là ne dansaient plus, il y avait une distance entre eux quand ils marchaient à côté l’un de l’autre, une réticence du corps de Sara quand Max lui posait la main sur la nuque, d’un geste de propriétaire terrien que je trouvais abominable, quand il voulait lui baiser la joue, les yeux, la bouche. Elle n’était plus là, avec lui. Je pensais qu’elle était à nouveau avec moi, qu’elle était patiente, qu’elle attendait, elle attendait quoi ? Sara nous observait.
[à suivre]