ORION – XXVII – Un tourbillon de poussière à l’horizon 1
Un tourbillon de poussière à l’horizon
1
– Je sais qui est l’assassin.
Grâce soit rendue à Dieu et à Carrefour City ! nous allions enfin revenir à nous-mêmes et ce serait la fin de cette nuit de l’âme et notre vue s’éclaircirait. Je finissais par tourner mystique. À cet égard la prison y aide, une Ascension dans les nuages serait une sacrée évasion.
La journée s’était passée dans une impatience que nous n’avions pas connue depuis longtemps, au moins depuis une certaine file d’attente pour le premier concert de Claire Lempereur, je ne parle que pour moi. Léo avait regagné son siège et Aloysius avait disparu.
– Et donc ?
Claire nous exposa son hypothèse en me regardant obstinément, comme si elle me défiait de la contredire. Elle se basait sur l’idée que ce n’était que la dernière des crises d’« apnée » à laquelle nous avions assistée : Aloysius avait eu d’autres syncopes, probablement dès son arrivée à la ferme, sans que nous n’en sachions rien, probablement dans son sommeil – moment par excellence de ces troubles respiratoires.
– Dans les remontées depuis les abysses, le cerveau d’un nageur qui ne ménagerait pas des paliers de décompression subirait une invasion de formations gazeuses. Une bulle dans le sang est montée à l’esprit d’Aloysius dès sa première crise et a commotionné le cerveau en éclatant…
2
Voilà qui confirmait comment l’imagination est la seule liberté humaine. Je résume. Croyant être mort au cours d’une apnée fatale, il se serait pris pour un ressuscité. Or, il n’y voyait aucun avantage mais, consubstantiellement dépressif, bien des inconvénients. La vie n’avait vraiment rien d’un miracle pour Aloysius. Le publicitaire ne s’estimant à cet égard pas particulièrement privilégié, loin de là, niveau de vie ou pas, il en aurait conclu qu’à son égal, tout être sur terre avait été d’abord sous terre et n’en savait plus rien.
Dès lors, il se donnait pour mission d’être le Sauveur. L’esprit désorganisé, ceux qu’il avait tués parmi nous, il les avait seulement rendus à la raison.
Bon.
Ce pourquoi on décida qu’à la tombée de la nuit les portes et les fenêtres de la ferme seraient hermétiquement closes. Il se pouvait qu’entretemps nous soyons guéris, mais pas tout le monde.
3
Nous avions félicité chaleureusement notre détective privé, mais rien là-dedans n’expliquait la désertion de Merluchon et l’état des communications, ce qu’on se garda de lui faire remarquer, par obligeance.
À un moment, Claire et Sara discutèrent avec animation dans un coin de la terrasse des pins. Ni Pierre ni moi n’allèrent nous en mêler, c’étaient des histoires de filles, cela fait peur aux garçons, ils devinent bien qu’ils n’y sont pas formidablement bien traités, en tout cas pas autant qu’en tête à tête avec elles, ou en tête à queue. Elles se distribuaient sans doute les rôles.
– Le féminisme a perdu Zaza, me dit Pierre, toujours pertinent.
– Quoi ?
J’allais le gifler pour de bon.
– Elle m’a confié que Dieu était une femme.
– Une blonde ?
Un sourire éperdu flottait sur le visage de Pierre et ne s’attardait à rien. Je pensais que la saoulerie est parfois un état incantatoire : l’alcool parle par la bouche de l’ivrogne. L’effet en est désastreux pour l’hypocrisie et ses subalternes : le mensonge et l’omission. De même un sourire parlait pour Pierre. Il y avait mis le temps mais le sourire prenait le dessus.
Soyons plus raisonnable, il s’agissait d’un tic, et le tic a une activité autonome, parfois il se reporte ailleurs sur le visage, il se déplace, et le visage à sa suite change d’expression, de caractère, n’est plus reconnaissable, la personnalité suit, elle n’est jamais très assurée, elle est brouillonne, elle est un tic.
Pierre eut un tressaillement qui m’alerta.
On vit arriver du fond de la pommeraie un homme qui courait.
[à suivre]