1001 Vies (769) : LA TENDRESSE DU SNIPER – 56

[Suzana Blasco]

(Il serait utile à ce stade de notre relation de donner une idée de ce qu’est la vie idiote d’un homme âgé. La collec­tivité réclame de connaître un peu mieux ce que sera son sort. Ce n’est pas trop me demander.

Vous voici ré­veillé en dé­couvrant avoir déjà mal au dos, affreuse­ment, et pourtant devoir laver du linge, beau­coup de linge, énormément de linge, vous rencontrez alors un grand nombre d’obstacles qui n’au­raient pas dû se trouver sur votre pas­sage : une multitude d’af­fronts au bon sens de l’homme qui va, car il n’est plus rien qui ne contrarie (la machine à laver en panne, l’ascenseur en dérange­ment, l’absence de para­pluie sur le seuil de l’immeuble où un vent glacé de gouttes vous tient tête), c’est l’équivalent du pneu dé­gonflé, du manque de taxi et de la rame en grève pour l’homme pres­sé, sauf que vous n’êtes pas pressé. Vous ne le serez plus jamais. Et bien sûr, voici qu’à la la­verie auto­ma­tique les 7 ma­chines à laver sont en ac­tivité et 7 nains ali­gnés en face sur un banc mural vous sou­rient aima­blement.

Vous prenez alors le ton le plus Sorcière de conte de fées pos­sible – bien que vous n’ayez jamais rencontré de sorcière (ou peut-être si, mais c’était une autre journée, une autre fois, une autre vie) – et vous leur expliquez ce qu’est une « journée néga­tive ». Les 7 gnomes sont peut-être orphelins mais surtout très conscients d’en faire par­tie, car leur sourire s’élargit et le plus petit lève le doigt comme à l’école et dit : « Néga­tif c’est le contraire d’affirmatif ? ».

Vous ne l’étranglez pas mais le lui confirmez, votre balu­chon maudit sur l’épaule, et vous sortez à la recherche d’une autre laverie en sou­hai­tant aux 7 petites personnes une vie pleine de journées affirma­tives.)

[à suivre]