1001 Vies (795) : LA TENDRESSE DU SNIPER – 82
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Voici qu’on pouvait enfin se frotter les mains, quoiqu’avec exagération, à pleines paumes, alors qu’on marche de long en large dans sa chambre d’hôtel.
Pourquoi siffloter quand on se croit si triste ? Pourquoi aller et venir avec bonne humeur devant la fenêtre où le rideau danse avec le vent ? Et pourquoi multiplier les clins d’œil dans le vide ?
Au petit matin, debout au balcon, le peintre Garcia perçoit un ronronnement de chat, et la petite lumière d’une moto éclaire successivement le chemin au bord du fleuve, les pins, les lampadaires, la pelouse devant l’hôtel, le muret de la terrasse où le phare s’éteint ; et consécutivement, il y a un bruit de porte étouffé dans le couloir de l’Hôtel des cygnes, la fenêtre mitoyenne où avaient passé tant de cris d’amour au cours de la nuit s’éteint à son tour, l’électricité est rallumée dans la lanterne du seuil à l’arrivée de la motocycliste, et une jeune fille rousse – croisant la femme de chambre, qui dégrafe son casque, en montant le perron où le gardien de nuit l’accueille – sort en claudicant sur la terrasse plongée dans l’ombre, se retourne vers la façade de l’hôtel et semble désemparée de ne voir que les volets clos un peu partout et cet inconnu au balcon de sa chambre.
Impulsivement, le vieux peintre la salue.
La boiteuse a un mouvement doux de la main pour écarter ses cheveux de ses yeux et sourire.
C’est Lucie, le modèle disparue dans le bois de Vincennes bien des années auparavant.
Comment peut-elle être aussi jeune – traversant le temps d’amoureux en amoureux comme si l’amour était l’habitacle d’une machine à fictions ?
Du même mouvement, mais plus allongé, son poignet ayant un vague balancier pour exprimer sa désillusion résignée, un peu comique, le bras de Lucie décrit la solitude des pins où le passage du vent provoque des ruissellements d’eau.
A la fin de son geste, elle ne regarde plus le vieil homme solitaire, accoudé à la rampe, tremblant d’émotion, mais s’est tournée vers le lac où un peu de lumière s’éveille.
(Depuis le temps tu as sans doute oublié que je t’aimais et que tu m’aimais. Cet amour était aussi insignifiant et cruel qu’à l’accoutumée. Je t’en voulais, je m’en voulais, j’en voulais à ce deuil indicible, je ne t’en veux plus, je ne nous en veux plus, tu dois avoir assez de soucis avec ton mari je le devine sans peine, je le devine avec tant de peine, il t’a fait croire qu’il y avait en lui une erre laissant supposer à force qu’il y ait une ancre et voici que le couple dérive loin l’un de l’autre à moitié noyé.
Comme je suis drôle si je veux,
comme je suis désopilant si je veux.)
[à suivre]