1001 Vies (805) : LA TENDRESSE DU SNIPER – 92
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(Il est fatal d’en venir à distinguer entre épuisement et fatigue. C’est le seul choix possible. La fatigue est une chance. Elle n’est pourtant plus celle paisible et sensuelle qui concluait les activités heureuses d’autrefois. Puisqu’il n’y a plus d’activité possible. Se lever de son lit n’est qu’éprouvant. Aller à ses courses et rentrer aussitôt est un parcours de très vieux combattant. La chute menace. L‘étourdissement, et le risque de se retrouver n’importe où, éperdu. De toute façon chaque pas est ennuyeux puisque sans beaucoup de perspective, et il y a peu de bancs dans les villes modernes. On craint les clochards, on oublie les gens âgés, d’ailleurs il y a des maisons pour leur obstination.
Bien que la fatigue soit une chance, il y a mieux. Il y aura l’épuisement. La fatigue n’a d’autre projet. Je ne connais encore qu’assez peu cet état, je suis curieux, impatient. Se débattre confusément dans le mauvais rêve du grand âge est une aventure instructive, intense et passionnante.)
« Vous n’avez pas tort, il se pourrait que je parle un peu de moi en discourant au sujet des autres. Ou, sinon, de l’homme que je fus, ou crus être. On ne s’échappe pas de soi facilement. Nous avons l’activité inlassable et stupide du boomerang. Bref, nous ne voyageons jamais loin…
J’ai été aux portes du monde et n’ai pas su choisir entre ces portes la bonne porte. La vie ne satisfait pas ? Il faudrait la récrire à mesure ? Ce serait injuste ! C’est nous qui sommes des brouillons de ce que nous devrions être. À présent, mourir d’ennui sera long mais assez peu douloureux. La Création doit avoir une raison d’être, pour rien au monde ne retoucher l’auguste dessein, le projet salvifique : être enfin un peu de poussière sous le tapis. Pour ma part, je ne quitterai plus notre vieille cité que pour la Consolation... »
[à suivre]