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Publié par Michel Castanier

 

LA LUMIÈRE SE MODIFIE CONTINUELLEMENT AUTOUR DE L’ÎLE DE LA CITÉ OBSCURCISSANT LE FLEUVE OU ÉVEILLANT UNE MULTITUDE DE FLAMMES VERTES SUR LE MOUVEMENT DES EAUX

 

 

Alex Grandmaison leva vivement les yeux, regardant le quai comme s’il se réveillait, et il chercha quelque chose ou quelqu’un flottant en aval de la Seine comme en amont.

Le poète chiffonnait son bob et sans doute ce geste était le signe d’une déception, mais la confiance le ressaisit dans son ample main maternelle.

En effet. Tant de complicité rieuse entre la jeune fille et lui-même autorisait d’être insouciants au sujet de leurs futures retrouvailles au grès des vents et des flots.

– Après tout, murmura-t-il, nous ne nous étions pas concertés sur la nature exacte et le mode d’emploi de notre liaison balnéaire. À notre tour de nous fier aux improvisations du monde !

Il le confia avec tendresse à Fred : pour son prochain séjour en bord de mer il avait acheté une veste estivale parmi un certain nombre d’objets de première nécessité à la plage – pour témoigner plus fortement de sa bonne volonté excluant à peine un seau et une pelle en plastique parmi un choix de bobs, de pliants, de parasols, de serviettes de bain, de tongs et de maillots.

Fred avait déjà remarqué cette veste improbable au cours d’une visite chez son ami, sans oser demander d’explication : pendue dans l’armoire comme un extraterrestre entre les tenues noires très à la mode que le poète affectionnait – une veste faite d’arcs chromatiques, rayonnante, qui allait faire d’Alex dans les nuits chaudes des stations balnéaires une aurore boréale en tongs.

– Une veste à larges bandes, intense, magnétique ?

Alex approuva.

– La première fois que je l’ai mise j’ai cru qu’elle me suivait.

Ils pouvaient voir en dessus de l’arche d’un pont de minuscules éclairs, le brouillard de gaz lacrymogènes et des mouvements de foule. Une goutte de pluie tomba dans l’œil de Fred, il l’essuya, tapota la poche intérieure de son imperméable pour s’assurer qu’il n’avait pas oublié les clés de la rue des Arènes.

Le jeune poète, l’air abattu, tordit ses longs doigts sur le pommeau de son parapluie.

– L’arrivée du navigateur solitaire n’a pas été vraiment une surprise… 

 

(… Marchant en état d’effervescence auprès d’Alex par les jardins de la Grande Motte, Bénédicte parle de l’arrivée du catamaran d’Harlrd à quelques encablures du port de Sète, ainsi qu’elle l’a appris aux Actualités, de ce que seront leurs retrouvailles sur les quais du vieux port où il s’amarrera bientôt, et déjà elle s’interroge d’une voix haute et décidée, comme si elle reprenait le sujet entre eux, sur cet émerveillement : qu’il se soit à nouveau rapproché d’elle sans savoir, bien sûr, qu’elle était si proche.

Et même elle ne cesse plus, avec un enthousiasme fébrile, de revenir sur les jeux du hasard entre eux : par exemple, cette chance fragile en Scandinavie où rien ne préfigurait son bonheur, posée sur une bitte d’amarrage dans un fjord norvégien – ou bien ce jour morose et ennuyé, alors qu’elle ne sait rien de ce que sera sa joie, promenant sur les bords de la Tamise, comment il la rejoint, amarrant son voilier au quai Wellington – ou le miracle renouvelé de cet événement : l’aube humide et rose à Tanger où l'adolescente voit un point minuscule dans le désert bleu de la mer devenir un yacht...)

 

– Le désert, n’est-ce pas ?

Alex se mit à rire si fort qu’il en eut les larmes aux yeux.

– Il était partout ! Partout !

 

[à suivre]

 

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