Le Pavillon des servitudes – Écrits croisés – 43
UNE SAISON INQUIETE
Justine eut un geste large, effectivement généreux et même grandiose, pour dire :
– J’ai tout fait !
– Tant mieux.
Justine regardait l’écrivain avec détresse, mais il ne voulut pas voir ses yeux suppliants et continua sa quête par petites approches étonnées, amusées, rieuses et tenaces – sans que rien, pas le moindre frémissement de ses mains, pas la moindre fixité dans son regard, pas un soupçon de pâleur sur son visage amorphe, ne trahisse son état. Il y serait bien en peine, son corps n’avait plus d’expression.
– Ça amusait les garçons, dit-elle, indulgente.
– Comme tu aimes amuser !
Il fut aussitôt plus attentif que jamais, plus insistant, plus suave jusqu’à ce qu’enfin – garde-malade offrant une longue et altruiste fellation à un vieillard agonisant – Justine consente à préciser par une touche de couleur l’exactitude d’une scène qui ne pouvait être
si heureuse, si bêtement joviale ou triomphante qu’à l’accoutumée
le tableau original que Mamore accrochera aux cimaises de la littérature.
Alors qu’à la nuit venue plus tôt avec la fin de l’été la muse quittait le parc dans le déroulement pelotonné de ses pas, déjà un peu somnolente (elle s’endormait dès 10 h du soir, bordée par grand-mère qui lui racontait ce qu’elle croyait des contes de fées), l’imposante machine la suivait en grinçant de toutes ses roues, et elle la poursuivait jusque dans ses rêves, inlassablement en quête d’une larme nerveuse qui coulera sur la joue de la jeune fille exaspérée
une minuscule et délicate lacrymatoire en forme de petite grappe de raisin
que l’écrivain emportait dans son pavillon comme un voleur, seul, irradié par une douleur maximale, arborescente, afin de la déposer dans sa main sans force.
[à suivre]