1001 Vies (587) : Le Déluge et Darius Chopineau (7)

[Jie Ma]

7

L’indigence de sa vie lui apparaît par une nuit d’insomnie, cette bonne vieille lanterne de Diogène : l’insomnie ; désor­mais tourné vers ce qu’a été son existence Darius s’étonne, vague­ment honteux, et il est comme un homme qui marcherait en rond sur sa tombe, les mains dans le dos, tête basse et pensif.

C’est alors qu’il fait si l’on veut sa propre connaissance.

« J’ai usé tant de force et d’élégance à ne pas souffrir, j’ai mis tant d’années à être léger, à peine là. Comme si la solitude situait à une hauteur pensive, distraite, il m’a semblé tomber du haut de moi-même. Les citoyens de cette bonne ville ont un léger écart pour éviter mon interminable chute. »

Darius remue dans son fauteuil comme s’il était secoué dans un manège de foire.

« Je m'étais dit dès mon berceau : notre chance est notre multiplicité. La personnalité est une roue de la Fortune. La vie d'une abeille ne m'enthousiasmerait pas. En mémoire des horreurs du XXème siècle n'ayant aucun scrupule moral autre que de faire le moins de mal possible, je conçois mon existence comme un divertissement et j'y réussis. Me voilà bien! Comment écrire dans ces conditions? Le principe de plaisir est très décevant, savez-vous. Rien n'est si simple. Le passé est têtu. Il a la tête dure. Nous sommes ses obligés. »

Il renifle puissamment – laissant à penser qu’il a un goût prononcé pour les rhinocéros dans les documen­taires animaliers.

[à suivre]