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Publié par Michel Castanier

satire comédie littérature autobiographie autofiction portrait fragment sotie pamphlet
[de Philip Jackson]

 

 

Concorde


 

Ce jour-là, je suis jeune et je ne sais pas. Je me tiens comme par hasard près du domicile de Sara Petipon, l’esprit en arrêt comme un chien de chasse – et voici qu’elle passe, la tête haute et morne.

Elle passe et disparaît derrière les fontaines de la Concorde : rien que d’ordinaire puisque, jus­tement, elle passe, mais elle ne reparaît plus et bientôt je m’étonne, et il y a de quoi s’étonner. Sara Petipon n’est pas du genre à jouer à cache-cache, même si elle a parfois des frémissements de fil­lette.

Je quitte ma place, imagi­nant d’abord qu’elle se soit im­mo­bilisée derrière le rideau des eaux de la fontaine pour réfléchir (mais ré­fléchir à quoi ? ou à qui ?). Agissant en oblique pour ne pas la perdre de vue si elle bouge, je cours vers l’emplacement qu’elle devrait oc­cuper, n’y trouve rien, vais jusqu’à tapoter du bout des doigts les sta­tues de la Navigation fluviale, non, elles ne sont pas creuses, n’ouvrant aucune porte dérobée pour elle seule, afin d’abriter son côté Fantômas retenant prisonnier un beau roi de Bohème, et pour finir je lève la tête dans l’espoir que Sara Petipon ait es­caladé la fon­taine aux doigts d’eaux et se soit as­sise au sommet, rieuse, les cuisses trem­pées, ce qui n’est pas pour lui faire peur, moins qu’à moi en tout cas, mais il n’y a per­sonne là-haut pour me tirer la langue. D’ailleurs Sara Petipon rit peu, ne sait même pas rire, et je suis seul. Ou plutôt nous sommes seuls, l’inextinguible fontaine et moi.

Je  reconnais sans peine que cette soudaine très grande ac­ti­vité frénétique en dit long sur mon état. Sara Petipon est si fragile, si lé­gère, me disais-je : peut-être, pous­sée par un cou­rant d’air, a-t-elle franchi des dis­tances incal­cu­lables ? Je l’aurais volontiers admis si, rega­gnant ma place devant son domicile, je n’avais vu la Femme-fontaine sur un banc public ruisse­ler dans une tendre ani­mation auprès d’un in­connu.


 

[Cet écrit est repris et réécrit de Merveilleuse Autobiographie : ce blog est un laboratoire ou un atelier ou une usine ou ce que vous voulez]


 

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