1001 Vies (605) : La Tour de Babil – 10
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Il nous arrive, ces temps-ci, d’assister dévotement à une de ces émissions littéraires qui m’exaspéraient jusqu’alors, mais notre complicité est une tour de guet d’où voir venir de loin les Barbares. Déjà Philomène se désole qu’Hamilton ait vieilli ces temps-ci – et, de fait, le grand Hamilton nous parut un peu dépassé, n’ayant pu en placer une, car l’interviewer bavard couvre sa voix et relance ses propres réponses dans ses questions : un insignifiant recouvrant un signifiant majeur.
Moi – Tu as le choix.
Je désignai un individu gras affalé sur le canapé du studio. Je pensais qu’il devait tacher si on le touchait – mais qui l’aurait touché, à part la prostitution ?
Moi – Une grossièreté d’expression qui se veut moderne et n’est que mode et complaisance. Morel gave ses pages de tout ce qui lui passe par l’esprit, n’en distrait rien, se contente de tout, le lecteur s’y reconnaîtra, nous dit-il. Il n’a aucun bon sens. Il croit au lecteur.
Mon institutrice me montre le Laurel de cet Hardy, posé sur l’extrême bord du même canapé, comme un héron mélancolique au bord d’une flaque.
Elle – Ou bien tu as l'odeur confinée du vieux garçon, du célibat à manies et aux phobies farouches : Imbert, le vieil écrivain officiel. L’amour lui est l’occasion d’exercices de style. Les phrases sont bien rangées, méticuleusement, mais elles saturent la page comme un excès d'ameublement de style.
Moi – Mais Hamilton ! Hamilton qui s’est endormi ! On regarde sous les phrases comme sous un tapis d’honnête ménagère: il n’y a rien de caché, on ne trouvera pas la poussière des clichés repoussée dessous, ni pitre, ni faiseur, aucune petite comédie. Il semble qu’en tournant ses pages, le monde se transforme autour du livre.
Elle – Toute vie est un art de vivre. Tout art de vivre est un art d’écrire et tout art d’écrire est un art d’écrire sa vie.
[à suivre]