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Publié par Michel Castanier

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[L’image est d’Eugenio Recuenco]

 

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Je reçois justement la visite de mon ami Béranger – artiste s’il en est – qui aurait tant voulu être assis sur ce même canapé télé­visé – mais au milieu, croisant les jambes pour dégager ses fines chaussettes en soie violette de chez Gamarelli, le tailleur du pape, logées dans des docs martins vertes – l’air absent, dé­daigneux : si je suis là, c’est bien pour faire plaisir à mon édi­teur.

Béranger aura entendu de tout à sa dernière lecture publique au Centre culturel de Parignargues, il a tout admis, me dit-il, al­longé sur mon canapé avec la grâce défraîchie, joufflue et mala­dive d’un Oscar Wilde au retour de la geôle de Reading : être « de la merde », selon ce qui lui est confié, et écrire « de la merde », ce qui somme toute lui paraît assez cohérent, il me passe les autres agressions carac­térisées, les compliments tor­dus, les approba­tions pourries, on l’a même traité de poète, c’est dire si c’est af­freux de croire écrire – mais le pire était d’« écrire bien ». Insou­tenable. Il n’a pas mérité ce traite­ment, on abuse de sa gen­tillesse, on fait de lui ce qu’on veut. À ce sujet, rions ensemble ! Par­fois, on consi­dère qu’il serait « un écrivain pour dames », ceci suggéré avec un mépris immense et très amu­sant !

Quelle drôlerie, non ?

Ce n’est pas follement aimable, en effet, mais un artiste monte et démonte en perma­nence sa propre croix. Autant ne pas s’attar­der et passer en douceur, les yeux clos. Béranger pousse un gros soupir, un de ces soupirs « à fendre l’âme », comme il l’écrirait, lui qui l’a déjà vendue au plus offrant dans sa jeu­nesse : il a voulu Paris, il a Parignargues s’il n’y résiste pas des quatre fers (Béranger emploie cette image bien qu’il n’ait jamais fré­quenté de cheval et n’y connaisse rien, mais le Grand Auteur fait ce qu’il veut avec ce qu’il a).

 

 

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Pourquoi avoir tout accepté ? lui ai-je demandé.

Béranger tire de sa poche ses éternelles Ray-ban Gucci, un crayon mâ­chonné, un carnet de notes volumineux dont il consulte les pa­ges, bien qu'il les connaisse par cœur, gri­gnotant le crayon, les car­reaux noirs remontés sur son front. Il cherche une réponse.

Qu’il m’agace ! Il m’est arrivé d'être émerveillé des éclats osés, heureux, spectaculaires, d'une intelligence si diffuse, mais tou­jours, il en fait trop ! Il repousse les lunettes sur son front, l’air d’un comptable qui compte les sous, relève ses gros yeux thy­roïdiens, curieuse­ment furieux.

– N’être pas édité, me dit-il, c’est n’être pas bon. Être édité, est n’être pas bon. Quand être bon ? Jamais. Tu n’es  pas concerné. Ton mé­rite passe en de­hors de toi. Il est l’affaire des autres entre eux et à cette af­faire nous n’avons aucune part ou d’autre que comme témoin patient, un peu étonné : petit artisticule ou auteur incom­parable. Le destin c’est les autres.

Elle – Il est si triste d’être au bord du génie, et de rester en haut du plongeoir pour n’avoir pas osé plonger…

– Qui est cette dame ?

 

 

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Qu’avait-bien pu voir Béranger, je me le demande encore, mais il n’avait pas eu tort, bien sûr : le destin en art est l’af­faire de ceux qui en décident entre eux dans les officines uni­versi­taires et journalis­tiques.

Ceux qui agissent vivent dans une semi somno­lence. Le nombre de personnes que de rares artistes en­traî­nent dans leur rêve éveillé ne té­moigne d’abord que de l’at­trait du charla­tan menta­liste ou des effets de ce transfor­miste qu’est une époque : sa couleur, ses modalités, ses rites, ses modes, ses mœurs, habi­tudes et tics de langage (de style, d’ex­pression, de forme).

Son étui.

Ce qui s’assure ensuite dans le change­ment his­to­rique est le corps d’un art dans sa nudité : la lame qui était dans l’étui.

 

 

[à suivre]

 

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