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Publié par Michel Castanier

La Vie au bureau : vie esthétique de Norbert Gourdon

Norbert Gourdon, ancien cadre supérieur en chômage longue durée, est l’envoyé spécial de la revue Maisons et Jardins potagers de France et de Navarre en Amazonie. Ceux qu’intéresse cette avancée prodigieuse dans l’Histoire de la littérature consulteront avec profit l’article 26 Envoyez promener votre rat dans les Archives ouvertes au public (Chronique du rat, secteur des do­cu­ments nu­méri­sés).

Norbert Gourdon se fait un canoë dans de l’écorce de bouleau, en coud les parties avec des filaments de racines d’épicéa, leur assure une étanchéité fiable avec de la résine de pin. C’est ainsi qu’il descend le fleuve Amazone, mais se perd dans une de ses ramifications. Il aperçoit au-dessus des épaisses frondai­sons une cascade visible depuis le fleuve et qui semble chu­ter du ciel : un rempart de terre rouge et des arches si hautes qu’il ne voit pas les palais qu’elles soutiennent dans les nuages. Il touche terre, s’engage dans la jungle, et c’est sans doute une erreur.

Norbert Gourdon traverse des abîmes vertigineux sur de fragiles ponts de lianes ; est emporté par un rapide ; son Leica C-Lux 2 avec une optique grand angle équipée d’un zoom 3,6 x et carte Sd de 64 Mo lui est dévoré par un caïman et, quand il croit aborder un lagon paisible où miroite la lune, il se découvre entouré de piranhas, ne perd pas son sang-froid, sachant le goût de ces grands psychopathes pour la peur ; il gagne la rive d’une nage pondérée et y retrouve son canoë recouvert de fourmis rouges. Il soupire.

Il ne découvre aucune cité fabuleuse mais un pin du Brésil de toute beauté. Il installe sa chambre dans l’arbre ; sa cuisine tient dans un large nœud de branche : un petit ré­chaud pour son thé et des flacons de condiments. Il fait son marché dans les sous-bois et en rapporte des racines, des in­sectes, des serpents, des mygales qu’il fait griller sur un bon feu de lianes. Après quoi il déguste dans une cosse de noix de coco son thé infusé dans des herbes locales ; rédige ses articles sur son Olivetti portable (une Lettera 22) et surtout corrige son opus majeur : Mes Aléas ; jette ; amende ; affine ; peaufine. Il soupire d’aise. Il regrette seulement le manque de journaux sportifs.

Un jour sa maison part en fumée à cause d’une impru­dence, et il s’en remet mal ; essaie plusieurs demeures vé­gétales ; aucune ne lui convient, trop ventée, trop humide, trop mal fréquentée : anacondas, jaguars ou ébouriffants aras commentant l’actualité de la jungle au petit matin. Un de nos chasseurs de têtes, son anaconda sous le bras, le retrouve en larmes, dépouillé de sa col­lection Maisons et Jardins potagers et de son manuscrit, assis sur une fourmilière : ils gagnent ensemble les rangs de la bonne société à l’hôpital de Bogota, de l’autre côté de l’autoroute, où Norbert Gourdon reprend, dans son ly­risme inimitable, Mes Aléas au cours de « performances-lectures » au réfectoire.

– Le Genre humain pro­gresse dans le chêne mo­nu­men­tal de ses pen­sées, de branche en branche, fer­mant les pau­pières, car il a le ver­tige, et il ne se con­naît peut-être pas tant d’ingéniosité ni de res­sources, jusqu’à ce qu’une lu­mière éclatante traverse sou­dain le feuil­lage de ses pau­pières ; il ouvre les yeux ; des yeux éper­dus l’observent, les siens, dans un ri­di­cule petit mi­roir. Il se connaît enfin, et c’est une fâ­cheuse surprise.

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