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Publié par Michel Castanier

Éloge de l’attentat - 1

Je n’ai trouvé de raisonnable que la joie – Marivaux

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1

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Si le serial Killer agit avec parcimonie, soucieux de discrétion, le terroriste – ce psychopathe qui a réussi – est l’équivalent de l’épicerie de grande surface. Il aime la publicité, la musique, les couleurs vives, les parfums sauvages, il apprécie le rayon Voyages sans frontières, fréquente assidument Outillages & Gadgets, il se met en frais, se dépense, c’est l’homme du spectacle, donc l’Homme moderne.

Il est probable qu’à cet instant le lecteur avisé sait à quoi s’attendre, il se lèche les babines, s’il en a, piaffe, hennit, bref ne se tient plus d’impatience. Il a bien repéré le mot attentat et devine que des atrocités vont lui être décrites, qui auront le trajet oblique mais fatal de la foudre. Il espère beaucoup de ce qui va suivre, il espère même le pire, il ne sera pas déçu.

Toutefois, un léger écart est nécessaire – une reprise de la respiration ou le fameux recul pour mieux sauter. Sauter dans l’épouvante et la panique.

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Une observation préalable.

Il est déplorable que tant de vidéo ait été tournées de ces instants pathétiques où le cauchemar reptilien descend de l’arbre de la nuit pour enfouir dans sa bouche démente les journées paisibles d’une petite ville occidentale.

Le public si amateur n’a pas manqué. Et c’est dommage.

Je m’explique.

Bien sûr, la dissémination dite virale de ces scènes artistiquement floues d’atroces meurtres collectifs – nouveaux sacrifices humains à je ne sais quel Moloch ou divinité sanglante – enchante l’Inca ou le Babylonien moderne, son doux visage baignant dans le liquide amniotique de l’écran de son ordinateur.

Ces extravagances affreuses ont le mérite d’être prises sur le vif et parfaitement authentiques. On ne peut que goûter des plans un peu confus, assez brouillons mais si sympathiquement vrais.

Je ne vois de comparable en mérite que l’épouvantable esprit sacrificiel de l’auteur d’autofiction.

En effet. On est dans cette conception subtile de la littérature bien loin des laborieuses inventions d’un auteur pusillanime de « romans » qui ne se compromettrait personnellement au grand jamais par un minimum de sincérité et n’avouerait que sous la torture avoir mangé un enfant cuit au four. Il n’y a aucune fraîche spontanéité chez ces gens-là.

Mais qu’est-ce que je raconte ? Je crois que l’émotion m’égare.

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Car cela est bien mais n’est pas suffisant. Il y a mieux. Il y a l’attentat.

Or donc le spectacle de litres de sang répandus sur le trottoir ou le sillage sinistre d’ailerons de requins dans la tranquille petite ville occidentale ou bien l’examen soucieux de la ceinture très fashion victim d’une panoplie de Supercrétin ne sauraient, selon moi, satisfaire. Car rien n’égale le pouvoir d’une sensibilité raffinée, et nos modernes n’ont pas leur pareil dans ce domaine.

Je veux parler des pouvoirs suprêmes de l’imagination.

Expliquons-nous mieux.

Un enfant jeté dans un puits, s’il survit un tant soit peu, hante l’imagination par ce qui lui est prêté de détresse, de cris affreux et d’angoisse sans remède jusqu’à ce qu’enfin il s’aperçoive qu’on voit la nuit étoilée depuis le fond d’un puits en plein jour, voilà qui est distrayant, il s’étonne, et c’est dans l’étonnement qu’il meurt de faim, l’heureux petit bonhomme.

Voilà bien les pouvoirs de l’Imaginaire. En quelques mots suggestifs vous avez connu la plus douloureuse empathie et le plus grand soulagement. Et ce grand imaginatif – le sentimental – se rassure : il a frôlé l’Horreur et cette même imagination l’a rendu à plus de mesure. Tout est bien qui finit bien, comme dans un bon film hollywoodien.

Mais nous errons comme une poule sans tête dans ces lignes ainsi que le psychopathe dans le labyrinthe de son indifférence animale.

Reprenons-nous.

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2

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L’attentat.

C’est le nombre qui fait aujourd’hui la loi, et ses conséquences « purgatives » sur l’esprit réceptif à l’horreur et à la pitié ne sont pas à négliger.

Si notre sensibilité extrême s’effarouche du chien abandonné, elle s’accommode volontiers de la femme morte sous les coups d’un époux un peu nerveux. Par bonheur, une Journée de la femme battue commémore le souvenir de leur quantité. Dans cette belle initiative, ainsi que dans un attentat, le nombre des victimes importe (sous peine de discrédit) ou alors l’âge, voire, si la victime est jolie, la qualité. Le sens moral n’y perd rien et l’excitation nerveuse en est agrandie.

Quelques photos admirablement choisies pour leur discrétion suggestive seraient sans doute l’occasion de vivifiantes indignations ? Je ne le recommande pas. Certes, cela laisse toute latitude aux représentations pornographiques SM et à ce qui s’ensuit d’encouragement à la funeste reproduction de l’espèce, je suppose, mais là n’est pas l’essentiel.

L’image fixe l’attention, elle l’aveugle, et l’imagination, si inventive soit-elle, en est désorientée. Rien ne doit se substituer à la finesse des supputations.

Nous ne nous y risquerons pas. De ce point de vue les amis de nos amis les animaux font erreur. La vue de judicieuses vivisections, si satisfaisante pour l’esprit de bonté, inspire une saine répulsion à l’égard des petites bêtes ou de nos amis eux-mêmes mais ne laisse aucune place au vagabondage de la rêverie qui nourrit la délicieuse honte d’être un homme.

Mais je m’égare encore.

Ou pas tant que ça.

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Il est temps d’en venir à notre sujet d’étude.

Les lieux communs – les clichés comme les cimetières – sont faits pour être revisités. On y ressuscite régulièrement l’émotion initiale si créatrice. Ainsi, dans ces circonstances : il faut bien mourir de quelque chose.

Donc, l’attentat.

J’admets avoir de la peine à détourner le regard de cette pensée odieuse. J’avoue même être paralysé par un état panique à l’idée de la morne obsession du terroriste et de la profonde terreur de ses victimes. De quel soupirail des Enfers s’est faufilé le chien enragé capable de telles turpides ? Quelle faute inoubliable a commise la petite ville occidentale pour subir le châtiment si sévère qui est le sien ?

Diable ! Voilà que je m’exprime comme un roman-feuilleton du XIXème siècle. Pourtant, cela sonne à la façon d’un sinistre roulement de tambours, annonciateur de bien des horreurs passionnantes, n’est-ce pas ? C’est pour voir l’effet, juste pour voir l’effet, attirer l’attention, faire notre intéressant, rendre aussi plus émouvant ce drame lamentable qui vous semble jusqu’à présent, ne me cachez rien, manquer d’un peu de nerf.

(à suivre)

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