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Publié par Michel Castanier

Une Créature extraordinaire : l’acteur de séries américaines

Greg nous épate.

Le téléspectateur sensé se demande pourquoi Greg fait un métier pareil : ouvrir une multitude de portes en coup de vent, un pistolet dans chaque main, l’air maniaque.

En effet.

Greg fait toujours la même chose mais il le fait avec scrupule et y met une conviction que rien n’altère.

Ainsi Greg a-t-il un intérêt passionné pour un bout de chewing-gum mâché qu’il a trouvé sur la scène du crime. C’est une préoccupation un peu dégoûtante mais il aime avoir l’air occupé.

Greg prend des notes sur le même petit carnet à spirale depuis dix saisons : quel temps faisait-il à l’heure où votre mari a été tué dans la piscine, madame ? Alors, pourquoi vos habits sont-ils mouillés ? Vous avez pris votre douche tout habillée ? Vous prenez toujours vos douches toute habillée ? Chaque pays chaque coutume ?

Greg aime dévisager avec sévérité le témoin. Le témoin évite soigneusement son regard, le nez en l’air, non sans une certaine inquiétude palpable. Cela peut durer. Si la scène se passe dans la salle des interrogatoires le téléspectateur observe tout depuis la glace sans tain de l’écran de télévision. Il a déjà sa petite idée. Le témoin ne saurait être le coupable, puisque, justement, il a l’air coupable.

Qu’est-ce que l’air coupable ? Le temps est compté dans les séries, rien n’est injustifié (le plan le plus fugitif y a son motif), aucune digression, rien d’arbitraire, la gratuité c’est le Mal, donc l’atmosphère de l’assassin, l’indicatif scénaristique qui le trahit. Au début de l’épisode le petit type insignifiant à qui il n’est prêté aucune attention et qui traverse la scène du crime en disant d’un ton neutre que le fond de l’air est frais et qu’il a oublié son manteau en poil de chameau – il ne peut être que l’assassin.

Il est coupable, forcément coupable.

Greg a le sens du détail et l’amour de la nature. Il appelle ses informations des indices. Il sait que la variété dite « canadienne » du homard ne vit que dans les eaux de l’île-du-Prince-Edouard, qu’à aucun prix les poils du chameau ne sortent « comme ça » du Sahara où le chameau vit depuis les temps bibliques, que la feuille du spermora amphitriona ne pousse que dans une rayon de trois hectares en Pennsylvanie et plus précisément dans la ferme du vieux Zachary K. Gibson, célibataire farouche, alcoolique notoire et fourgueur de manteaux en poil de chameau vert. Greg sait tout, il sait tout sur tout.

Ou presque.

Greg pianote avec célérité le clavier de son ordinateur ultrasophistiqué un nombre incalculable de fois à la recherche on ne sait de quoi, et le trouve à la fin de l’épisode : une adresse de manteaux en poil de chameau vert sur la 5ème avenue. Le téléspectateur est fasciné. Pourtant, l’annuaire newyorkais y aurait suffi.

Ayons de la gratitude pour Greg : prendre un air intéressé quand on se fout royalement de ce qu’on vous dit, approuver pieusement, des saisons durant, les propos stupides du chef de service, tenir le même rôle social et reproduire les mêmes situations, répéter avec conscience les mêmes erreurs à chaque nouvel épisode amoureux, prendre un air absolument ébahi quand vient une idée qu’on a déjà eu cent fois ? Parfois, c’est à se demander si Greg n’est pas nous, en tout cas il est un ami, ou, du moins, il nous connait, ou nous ressemble. Mauvais acteurs dans la mauvaise série.

Et parfois Greg s’échappe bienheureusement. Quand il regarde le téléspectateur dans les yeux, on croirait qu’il le voit. C’est un grand moment de télévision. Ils sont surpris, puis également gênés, se considèrent mieux, près de s’éprendre, et finalement renoncent, car l’épisode suit son cours et le téléspectateur se ressert de la pizza 4 saisons.

En tout cas mon arrière-arrière-grand-mère le croyait. Et qui sait ? J’ai bien vu un présentateur de journal télévisé faire un clin d’œil à cette dame. Quel naïf ! Grand-mère était fidèle.

Sacré Greg !

Ceci dit, je vais manger ma soupe.

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