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Publié par Michel Castanier

Michel Rouquette

 

 

Malassis

 

 

Malassis, pensif, piétine à l’arrière du cortège.

 

Il se fera bientôt l'équi­valent d'un grand silence paisible, il ne ressentira plus de maux, aucune tris­tesse ne l'agitant, au­cun souci de l’infâme Créature, La Chose rousse, la shampouineuse maléfique une fois enfin décédée, le soulagement montera en lui par degrés, il de­viendra plus que jamais aimable, respi­rant fort et bien, le choc sans doute. À la mort de l’odieuse personne il n’aura plus ce sen­timent d’urgence éperdue, vague, sans cause, sa souffrance ne lui sera plus un handicap, mais une présence familière, une vieille habitude, une bonne compagne de vie au­trement plus af­fable, honnête, secourable : voici qu’elle l’occupe, le dis­trait, l’absorbe, il a du temps à présent, tout son temps, le temps de la ri­vière disait-on dans sa famille.

 

Cette bonne humeur ne peut durer.

 

Le coiffeur se tient au bout de l’alignement, devant le tom­beau ou­vert. Le beau cercueil de frêne clair est descendu par à-coups au bout des courroies devant l’assistance son­geuse. Mon­sieur Nego, supervisant en personne la cérémonie, a dé­posé les courroies contre la grille de la tombe, et il lisse ses cheveux la­qués, heureux de la sa­tisfac­tion du devoir accompli. Un tgv file sur le pont de la voie ferrée au–dessus des cha­pelles, des croix et des ifs.

 

– Tiens ! Le train de 10h33 a du retard.  

 

Le père d’Adeline lit un discours. La voix se tord sous l’émotion, comme un objet pris dans un étau. Le vent est tombé, et il gémit dans une courette à l’écart, frottant ses vieux genoux. C’est bientôt le choc assourdi des poignées de terre sur le cer­cueil.

 

En a-t-il fallu des recherches pour trouver en hiver ce co­quelicot ! Malassis le lance sur le bois où il ne fait aucun bruit. À la fin de la cé­rémonie il refuse d’être accom­pagné en voiture, il ne doit ja­mais rien à per­sonne, jamais, et at­tend le bus qui ne tarde pas, ouvre sa porte de­vant lui avec un bruit de soupir las. Malassis s’assied et ne pense à rien. Strictement à rien. Ce qui est bien plus difficile qu’un vain peuple le croit.

 

Il change de bus pour la ligne Carémeau et descend au ter­minus. La porte vitrée de l’hôpital s’écarte devant Malassis avec une servilité qui aurait impres­sionné le grand des­pote perse des Achéménides, Cyrus. Ce n’est pas l’avis de l’Accueil où on fait savoir que l’heure des visites est passée. Le lecteur prévenu de tout s’inquiète dans le dos de l’infirmière de service : il pressent que l’action va se précipiter, les événements dégénérer et le sang chaud et vermeil fumer sur les grands draps blancs de l’hôpital.

 

 

 

Antoine

 

 

Antoine n’est pas mort dans l’attentat et le regrette, exposant ce point de vue amer à un voisin paralytique, cha­cun de son côté roulant dans un fauteuil orthopé­dique d’un mur à l’autre de la chambre d’hôpital obs­curcie par le cré­puscule.

 

Le critique littéraire a beaucoup changé. Avant l’attentat il avait supporté avec vaillance d’avoir une canne, admis avec courage d’être opéré, envisagé avec stoïcisme de l’être à nou­veau. Il ne sup­porte plus rien. Il ap­puie sans cesse sur le bouton de la pompe à mor­phine, cela lui est rapproché, il finira drogué.

– Vous avez vu comment je fi­nis ? hurle-il d’une voix qui re­groupe tout le staff des in­firmières à sa porte.

Et l’impotent crache sur toute per­sonne qui passe à sa portée, il de­vient détes­table, il devie­nt un sale type, grande satisfac­tion, très grande, la fré­quenta­tion du Mal est toujours plus instruc­tive.

 

Ainsi, au crépuscule, la porte de la chambre mettant un temps fou à s’ouvrir, on sait qui apparaitra pour sa tournée de visites, l’aimable cré­tin venu souhaiter bonne nuit chaque nuit à chacun des patients de son étage. On sait ce que cet individu pénible­ment sentimental dira du dernier état de sa mala­die, dé­crite sans cesse, dans tous ses détails, avec une dé­lectation se­crète, vertige rota­toire, marche ébrieuse et mou­vements dis­sy­métriques. Ce soir-là Antoine, exaspéré, re­pousse ce chanceux avec le mar­chepied de son fauteuil roulant jusque dans le cou­loir. Le brave homme dé­con­certé s'écarte, s’écarte, comme il est lent ! Ayant dé­vié de son in­tention il se trouve égaré.

 

Sans doute orga­nisera-t-on des re­cherches la nuit dans les cou­loirs labyrinthiques de la cli­nique, du côté des soins pal­lia­tifs, au service cancérologique, les chambres qui ne s’allument ja­mais avec la tom­bée du soir, l’étage des fan­tômes qui ef­fraie tant les handi­ca­pés, les acci­dentés de la route, les fra­cassés, les estro­piés, les bons vivants – sans doute le vieux bon­homme, perdu comme le petit Poucet dans la forêt des potences médi­cales, en vou­dra à Antoine, ce se­rait à tort, grâce à ce détourne­ment il se peut qu'une idée neuve lui vienne à la fa­veur d'une désor­gani­sation si scan­da­leuse de ses habi­tudes, une autre façon de voir les choses, un autre chemin pour ses petits cailloux, une pen­sée exacte. Antoine est écœuré, décidément faire le bien est obs­cène. Il ne sait pas qu’il vient de sauver une vie.

 

En dessous de la chambre d’Antoine, l’homme au fusil, vêtu en infirmier, passe déjà au service des malades en stade termi­nal. Il fait preuve d’une grande ma­gnanimité dis­crète (son fu­sil est muni d’un silencieux) pour tant de dou­leur recluse sur soi.

 

De la compassion, bien sûr. Une immense, désastreuse pi­tié pour les hommes, les pauvres chers hommes.

 

Etant arrivé à l’étage supérieur, après un petit tour dans le local des infirmières, ces mignonnes, il recharge son fusil, passe dans les chambres, parvient der­rière Antoine sans que celui-ci, qui a roulé son fauteuil sur le balcon, s’en aperçoive, il consi­dère les jambes vides du pantalon de pyjama, tapote avec bien­veil­lance l’épaule de l’infirme qui sursaute.

 

– Du moins, tu n’auras plus à boiter, dit une voix à son oreille.         

                                                                       

[à suivre]

 [l’image est de Michel Rouquette]

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