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Publié par Michel Castanier

Michel Rouquette

 

 

Bar des Beaux-Arts, place aux Herbes

 

 

On relâche Bion avec nombre d’excuses, finale­ment, quand la police est convaincue qu’il n’utiliserait jamais un fusil sans se tirer dans le pied ni n’installerait une ma­chine infernale sans se décapiter.

 

De quelque temps l’air a encore quelque chose de brûlé – une soleil sanglant rou­geoie au-dessus des toits de la ville, une braise. Très mauvais signe. Ce n’est pas l’odeur de l’aube. Il y a une atmosphère d’incendie dans les nœuds de l’air. Le monde est de­venu un gi­gan­tesque mégot qui se consume.

 

Et soudain, on n’en aper­çoit pas tout de suite, bien sûr, il faut du temps, sept jours pas­sent, les maga­sins sont peu fré­quentés, les Halles dé­sertes, l’économie lo­cale en berne, mais quelqu’un finit par regarder en arrière et se réveille, quelqu’un puis d’autres, on ose à peine respirer pourtant, lever la garde se­rait imprudent, mais bientôt plu­sieurs avancent que le fou s’est suicidé ou que les terroristes ont quitté la ville – grand fléau bi­blique morbide et borné qui couvrira de son ombre épaisse d’autres ré­gions, d’autres pays, le Paradis lui-même… La vague d’attentats s’est arrêtée.

 

La foule se rue dans les magasins comme pour un pre­mier jour de soldes. 

 

– Ce n’est qu’un répit, prévient Nego.

– Toujours optimiste, hein ?

– J’ai mes raisons.

– Le croquemort n’a pas tort. Quelqu’un se fait plaisir.

– On joue avec nous ?

– Quelqu’un qui s’ennuie ?

– On peut le comprendre.

– On méconnaît trop chez le terroriste la dimension du di­vertissement. 

 

 

 

Malassis

 

 

Tu te souviens de ce qui s’est passé, mon petit chéri ?… Essaie de te souvenir…

Le ciel était rouge.

Quoi d’autre ?... Réfléchis bien…

Tu m’as demandé de ne pas courir dans la rue ?

Et qu’est-ce que tu as fait ?... Réfléchis…

J’ai couru.

Hé bien maintenant tu ne courras plus jamais, mon petit chéri.

 

Malassis dépasse la mère et son enfant qu’elle pousse dans un fauteuil orthopédique aménagé comme un landau douillet. Le matin de ce 10 janvier, fête de l’Epiphanie, qui cé­lèbre l’arrivée des mages émigrés de tous les hori­zons, il cherche comme toujours les banqueroutes, les liquidations et les fail­lites. Dieu sait s’il y en a ! La ville se meurt. Malassis voit au loin le Musée de la romanité en construc­tion. Il y a des archi­tectes qui devraient être trainés devant les tribunaux pour crime contre l’humanité. Mais passons. Et l’artiste capillaire passe. Il longe la grille du Palais de justice qui a vu sévir le juge d’instruction Thérèse Hirsch à son en­contre – en un quart d’heure ! – et, bien sûr, sa main gauche le gratte aussitôt.

 

Cette sorte d’autonomie qui lui échappe par­fois ? N’est-il pas plutôt droi­tier ? Et pourtant ce qu’on appelle la « main domi­nante » est chez lui la gauche de façon quasi surnaturelle. La senestre, considé­rée depuis l’Antiquité comme le côté de la réprobation, du refus, du Mal. Du Non. Elle est la meilleure part de lui-même. Elle est la main de l’autre, de l’étranger qu’il au­rait pu être, du rebelle, de l’homme heureux, de l’artiste ac­com­pli.

 

Si, bien sûr…

 

Malassis passe devant la statue vénérée par la ville. Le sexe re­bondi de Nimeño sera bientôt aussi lustré que celui d’Alfred de Musset gisant au Père-Lachaise. L’association d’idée, in­contrôlable, est un craquement d’allumette dans la poudrière de son cœur. Lui ! Le nouveau petit ami de l’effroyable shampoui­neuse, la Chose venue de l’enfer avec des boucles rousses au­tour !

 

L’échafaudage qui sert à la restauration des Arènes n’est toujours pas apparu de ce côté du monument romain et il n’est pas près d’arriver. Les Arènes vues du ciel rappellent un gros oignon – cette montre sans bracelet que l’homme à gibus place au bout d’une chaîne dans le gousset de son gilet de flanelle sur les gravures du XIXème siècle. La res­tauration de l’édifice est en­treprise au cours de travaux que le journal local, le Midi Libre, quali­fie bien en­tendu de ro­mains. Un échafaudage – une ai­guille sur le vieux ca­dran – fait depuis pas mal de temps le tour du monu­ment avec obstination. Des portiques ont été dé­voilés à la suite du déplacement progressif. Con­trastant avec la noirceur gé­né­rale des pierres, ils présentent une sur­face net­toyée qui rappelle irrésistiblement la découpe blanche du string dans un corps bronzé. Une abomination pour les hommes de goût, le bron­zage.

 

Cette digression heureusement parvenue à sa fin, reprenons là où nous avons laissé Malassis qui s’assied résolument en face du to­rero, sur un cube de béton où sont enfermées les racines d’un arbre in­définissable – pas moyen de s’échapper. Au-delà de la cape du torero il peut apercevoir à travers une des portes en ar­cade, là où devraient être les gradins opposés de l’amphithéâtre, l’autre côté : la végé­ta­tion d’un balcon sur le boule­vard ad­verse ? Peu probable. Peut-être le jardin où l’artiste vit à pré­sent sa vie éternelle.

 

Malassis – le regard fixé sur le sexe du torero de bronze – sait à quoi s’attendre s’il retrouve l’Infâme. Il sait ce qu’elle a dans le cœur – ces pay­sages heu­reux et tran­quilles où il n’est pas. Son jardin. Il a été bien des fois témoin, comme à un pro­cès, du triste évènement : la dé­chéance du mâle européen qui se civilise, ré­signé. Etre voué à une amitié, à des amours écoutés avec pa­tience en savourant du thé à la bergamote par les après-midi plu­vieuses, être le pote, l’éternel ami pédé, la meilleure co­pine – et non pas précipité dans un lit où il faut du camionneur, de l’émigré, du barbare, du bûcheron !

 

Le coiffeur est pris d’un fou rire dou­loureux, Les pre­mières gouttes de pluie s’avancent à pas comptés – sans lais­ser prévoir le déluge dont elles sont la modeste avant-garde.

 

 

 

[à suivre]

[l’image est de Michel Rouquette]

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