AUTOPORTRAITS (153)
Cet arrêt cette voie de garage
les lumières s’éteignent
un peu de poussière de fer retombe sur les rails la vieille loco a encore les joues chaudes les wagons tremblent sur leurs roues une dernière fois encore étonnés de la course folle se taisent refroidissent Hé bien ? qu’est-ce qui se passe ? qu’est-ce qu’on fout là ? pourquoi ce silence ? cette nuit ?
Un vieux train remisé
avant l’arrivée des grands express de la drague rapide Tu couches ? Je couche !
avant le départ en trombe des TGV de la nuit moderne Emballée ? C’est pesé !
avant le sourire gêné à l’aube grise et les dos qui se tournent.
Avant de réapprendre tout
tout recommencer tout le chemin le voyage le grand voyage les fenêtres qui vibrent la scansion des roues la musique les longs arrêts la lenteur le goût de la lenteur.
Oh mon amie ! Pourquoi s’être perdus ?
La mercerie en liquidation au fond d’une courette est parfaitement ridicule. Elle conviendrait à un artisan cordonnier avant-guerre mais aujourd’hui elle n’attire que les blattes et les huissiers.
De mémoire de concierges successifs, ainsi que je l’apprends, il y a là un certain Roseval, ferblantier qui emboutit naguère des bassines galvanisées, puis des presses dans le temps jadis, un décolleteur acariâtre en 14/18, la petite protégée d’un beurre œuf fromages dans l’immédiat après-guerre, un collaborateur sous l’Occupation, une communauté hippie dans les années 70, récemment un cybernaute que personne ne voit jamais (l’étincelle d’une lampe bleuâtre brille à travers les persiennes de jour comme de nuit) – et depuis peu une cellule monoparentale : la mère a cru en une petite boutique de couture qu’elle aurait tenue et n’a pas fait à cette occasion la preuve du moindre bon sens. Elle doit rôder aujourd’hui avec son enfant du côté des Restos du cœur.
Le courrier sous la porte vitrée, l’absence de vêtements aux cintres, la poussière qui arrive déjà. Une atmosphère de fin de monde. Quel commerçant – au plus secret – ne voudrait pas que le monde meure avec son commerce en faillite ? Cette commerçante démoralisée songe aux sables rouges qui fouetteront la surface de la planète morte où la petite boutique de mode est abandonnée aux quatre vents, elle songe à cette foule de grains de sable rouge qui erre dans le désarroi – au basculement de la planète et de sa boutique dans l’abîme du soleil, dans le vide jaune.
Les guirlandes. Aimez les guirlandes. Vous devez aimer les guirlandes – Anonyme.