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Publié par Michel Castanier

La merveilleuse Autobiographie éternel masculin autofiction

 

Je déteste cet homme. Je ne le connais pas mais il est à toutes les terrasses de café que je fréquente. Il ne me remarque pas, je n’en crois rien, il sait. Je sais qu’il sait, car son regard se porte partout où je ne suis pas. Il boit généralement un café, parfois un allongé dans lequel il trempe alors un croissant (ordinaire, autrement dit à la margarine, je ne supporte pas qu’un croissant puisse être dit ordinaire). Il ne fait rien de plus notable, ne lit pas, ne consulte même pas le journal local, d’ailleurs assez mince. Il ne regarde pas spécialement les femmes qui passent mais ne montre pas plus d’intérêt pour les hommes. Il est là et pourrait n’être pas là, qui s’en soucierait ? Il croise les jambes, les décroise, affecte la nonchalance, il pose. Il a cette conscience du regard de l’autre (moi-même) qui désolidarise tellement nos gestes, à s’y perdre, notre maîtrise passée sous un contrôle extérieur, notre comportement affecté – et affecté, voilà ce qu’il est. Il ne quitte jamais notre terrasse avant moi et je n’ai pas la moindre idée s’il y reste après moi (Comment le saurais-je ?). Il est au demeurant bien mis, assez soigné même, quoique parfois d’une élégance outrée, donc pas d’élégance du tout, on peut aussi le supposer propre sur soi à en juger par le col de sa chemise – mais que sait-on de son intimité, sans doute dégoûtante ?

 

La Rencontre sur le pont des Beaux-Arts. Elle n’était pas là s’il ne la voyait pas. D’ailleurs elle n’avait jamais été là avant qu’il ne la voit. Il est aussi à craindre qu’elle sera là à tout jamais quand il ne la verra plus. Ce qu’il ne perçut pas tout de suite (et comment l’aurait-il pu ?) était qu’il serait lui-même là – physiquement exposé – dès lors qu’elle pourrait le voir à l’instant où elle lui était visible. Cette situation non seulement déjà complexe mais embrouillée – au sens où l’on peut prêter à quelqu’un de vous embrouiller – s’aggravait de ce qu’il allait lui devenir impossible de ne pas la voir et donc, au-delà, de n’être pas visiblement une proie possible pour l’amour.

Il crut alors mourir bien qu’il n’ait pas encore fini de vivre. Il était entré en possession fugitivement d’un pouvoir de vision déroutant, exceptionnel – une clairvoyance sans pareille dont il était à son tour possédé. Elle lui prit le bras et ils allèrent un peu partout comme égarés.

 

Les femmes qui passent. Elles passent et même dépassent l’Éternel masculin. Comment est-ce possible ? Comment ne sont-elles pas arrêtées net ? Cette présence à une terrasse, approchons-nous, voyons mieux, de plus près, quitte à oser s’asseoir, en demeurer muette, étonnée de tant d’audace, émerveillée d’un accueil si doux. Où nous mènent nos emportements à nous autres femmes (nos hormones, disent-elles) ? À l’abîme, assurément, mais doux Jésus ! que l’abîme où se jeter n’est strictement que ce qu’il y avait d’intéressant en ce monde et s’y lancer pas d’autre occupation plus élémentaire. Il va de soi qu’il recueillera notre chute dans son filet de sécurité, et s’il ne le fait pas, nous continuerons notre culbute gracieuse, la tête en avant, les bras en croix, jusqu’à nous ficher dans les eaux glacées du neuvième cercle des Enfers.

 

 

 

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