AUTOPORTRAITS (181)
Matin câlin. C’est lendemain de fête. L’air matinal est tendre, la place pacifiée, le citoyen rare, la moindre petite activité fait évènement. Le chien qui passe en serrant une balle en caoutchouc dans sa gueule. La fillette qui s’obstine à offrir son pain au chocolat à un inconnu embarrassé. Le serveur s’est assis et pianote son plateau. De temps à autre, des murmures. Les gens ne veulent rien de particulier, n’aspirent à rien. Ils sont tranquilles, selon le mot favori de la ville.
Bien sûr, l’intranquillité c’est le progrès, l’Humanité en marche, mais est-ce bien nécessaire, le progrès ? N’aurais-je pas été plus heureux, plus apaisé, à l’entrée de notre grotte avec ma compagne, à goûter la douceur de l’air, le passage lent d’un brontosaure dans les fougères ou l’envol charmant des ptérodactyles – et si ces animaux adorables n’étaient pas d’époque, ne nous serions-nous pas amusés à les imaginer ? Certes, l’ami des bêtes que je suis, très échauffé, aurait assez vite tiré Madame par les cheveux jusqu’au fin fond de notre caverne pour je ne sais quelle activité déplorable, mais ça, ça c’est l’intranquillité. Et le progrès, hélas, qui mène l’Humanité par le bout du nez.