LARVA - 12
22. Oc est bientôt trempé par un pommeau d’arrosoir invisible qui vaporise le plafond des micocouliers, la pluie se précipite, il approche de la cascade qui déferle d'une des hautes maisons au bord du canal, peut-être un tuyau crevé, une baignoire qui déborde, le fracas de la chute d’eau est impressionnant et aurait dû le prévenir longtemps à l’avance, mais il est soucieux, cherche à retrouver le cimetière qu'il n'aurait pas dû quitter, il a voulu se changer les idées, il s'y prend mal. La végétation déploie au-dessus du canal un toit obscur, tiède et humide : les gigantesques toiles mouillées flottent en campements de tentes sous la voûte des ponts. Le vent disperse la voix d’un ténor turc qui passe une vitre ouverte dans les panneaux de verrières alors qu’une barque entre dans le chenal.
Un nocher en tenue de chantier jaune, imperméable et fluorescente, un casque de mineur muni d'une lampe sur la tête, laisse filer sa barque le long du mur moussu.
Je suis Simon.
Sa voix est très basse, assourdie, épuisée, remontant de très bas par un colimaçon dans la gorge. La traversée, le gel, les vents et les sels ont considérablement usé et réduit ses traits.
Comment vas-tu arriver jusqu’à la nuit, Oc ? Par quel chemin ? et dans quel état ?
Je n’en ai pas la moindre idée.
Dès que Oc s'est assis à son invitation, Simon pousse sur les avirons passés aux dames de nage. L’œil du casque est allumé malgré le jour. Il étincelle comme une étoile. La barque est étroite et ils se tiennent nez à nez et semblent en avoir perdu la raison.
Je sais quelques excitants sexuels qui conviennent aux hommes de ton genre, Oc, pour la reproduction de leur espèce. Citons ces énervants pour nous en débarrasser : la jalousie ...
Ils doivent emprunter un passage d’autant plus long qu’il est obscurci par la démesure des immeubles.
Le dégoût …
De grands piliers, verts de mousse, soutiennent les arcs entre les parois, de gigantesques toiles d’algues se balancent. Cette même voix marécageuse chuchote, montée de bulles dans une flaque.
Le mépris …
Les eaux du canal se froissent et se défroissent avec aussi peu de plis que du nylon, multipliant les reflets du ciel, créant une lumière nouvelle qui éclaircit les profondeurs de la ville.
La pitié ...
Une faible lumière au ciel fait briller des scintillements de gouttes sur les murs des maisons. Le passeur a lâché ses rames. Il peut bien avoir vingt ou cent ans ou même plus, sa voix trempée, imbibée d’eau, ne permettant pas de se faire une opinion.
La honte…
Il crache entre ses jambes, allume une cigarette et lève longuement la tête vers le ravin du ciel où tournoient des vautours.
L’humiliation …
Alors que l’atmosphère ténébreuse s’épaissit à nouveau, les deux hommes se grattent frénétiquement. Il doit y avoir une multitude de poux dans la barque.
Remarque ce point non négligeable, Oc, si les entrailles de ton infidèle étaient ouvertes et le reste de sa chair, tu verrais quelles saletés recouvrent sa belle peau blanche. Quel rire !
Oc se lève vivement et plonge.
Souviens-toi, homme énervé ! Lorsque tu prendras dans tes bras ses membres, contemple en pensée la sanie, l’insupportable puanteur qu’elle sera dans peu de temps. Crois-moi, les représentations de cette pourriture à venir te feront prudemment mépriser les déguisements d’une beauté de théâtre !
Oc nage un crawl d’enfer vers un ponton moisi par l’humidité.
La lampe du casque rougeoie et se perd au fond du canal dans un rayon du soleil couchant.