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Publié par Michel Castanier

Les Lundis de l’Impeccable
Romain Thiery

 

22. Oc est bientôt trempé par un pom­meau d’arro­soir in­visi­ble qui vaporise le plafond des micocouliers, la pluie se précipite, il approche de la cas­cade qui déferle d'une des hautes maisons au bord du canal, peut-être un tuyau crevé, une baignoire qui déborde, le fra­cas de la chute d’eau est im­pressionnant et aurait dû le préve­nir longtemps à l’avance, mais il est soucieux, cherche à retrouver le ci­metière qu'il n'aurait pas dû quitter, il a voulu se changer les idées, il s'y prend mal. La végétation dé­ploie au-des­sus du canal un toit obscu­r, tiède et humide : les gigantes­ques toiles mouillées flottent en campements de tentes sous la voûte des ponts. Le vent disperse la voix d’un ténor turc qui passe une vitre ou­verte dans les pan­neaux de verrières alors qu’une barque en­tre dans le che­nal.

Un nocher en tenue de chantier jaune, imperméable et fluorescente, un casque de mineur muni d'une lampe sur la tête, laisse filer sa barque le long du mur moussu.

Je suis Simon.

Sa voix est très basse, assour­die, épuisée, re­mon­tant de très bas par un coli­ma­çon dans la gorge. La traversée, le gel, les vents et les sels ont consi­dérable­ment usé et réduit ses traits.

Comment vas-tu arriver jusqu’à la nuit, Oc ? Par quel chemin ? et dans quel état ?

Je n’en ai pas la moindre idée.

Dès que Oc s'est assis à son invitation, Simon pousse sur les avirons passés aux dames de nage. L’œil du casque est al­lumé malgré le jour. Il étincelle comme une étoile. La barque est étroite et ils se tiennent nez à nez et semblent en avoir perdu la rai­son.

Je sais quelques exci­tants sexuels qui conviennent aux hommes de ton genre, Oc, pour la reproduction de leur espèce. Citons ces éner­vants pour nous en dé­bar­rasser : la ja­lousie ...

Ils doivent emprunter un passage d’autant plus long qu’il est obscurci par la démesure des immeu­bles.

Le dégoût …

De grands pi­liers, verts de mousse, soutiennent les arcs entre les pa­rois, de gi­gantes­ques toiles d’algues se ba­lancent. Cette même voix maré­cageuse chuchote, montée de bulles dans une flaque.

Le mépris …

Les eaux du ca­nal se frois­sent et se dé­frois­sent avec aussi peu de plis que du ny­lon, multipliant les re­flets du ciel, créant une lu­mière nou­velle qui éclaircit les profon­deurs de la ville.

La pitié ...

Une fai­ble lu­mière au ciel fait bril­ler des scintille­ments de gouttes sur les murs des maisons. Le passeur a lâché ses ra­mes. Il peut bien avoir vingt ou cent ans ou même plus, sa voix trem­pée, imbibée d’eau, ne permet­tant pas de se faire une opi­nion.

La honte…

Il crache entre ses jam­bes, al­lume une ci­ga­rette et lève longuement la tête vers le ravin du ciel où tour­noient des vautours.

L’humiliation …

Alors que l’atmosphère téné­breuse s’épais­sit à nouveau, les deux hommes se grat­tent frénéti­que­ment. Il doit y avoir une multi­tude de poux dans la bar­que.

Remarque ce point non négligeable, Oc, si les entrailles de ton infidèle étaient ouvertes et le reste de sa chair, tu verrais quelles saletés recouvrent sa belle peau blan­che. Quel rire !

Oc se lève vivement et plonge.

Souviens-toi, homme énervé ! Lorsque tu prendras dans tes bras ses membres, contemple en pensée la sanie, l’insupportable puanteur qu’elle sera dans peu de temps. Crois-moi, les repré­sentations de cette pour­riture à venir te feront prudemment mépriser les dé­guise­ments d’une beauté de théâtre ! 

Oc nage un crawl d’enfer vers un ponton moisi par l’humidité. 

La lampe du casque rou­geoie et se perd au fond du canal dans un rayon du soleil cou­chant.

 

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