AUTOPORTRAITS (277)

Anja Buehrer

Bulles

On n’en voit que le reflet dans l’eau. Parfois un frémissement de feuille dû à une agitation. Une pul­sion, aussitôt répri­mée. Le marécage est trop vieux pour être vraiment dan­gereux, mais il lui suffit de laisser une sensation de risque dont on rirait vo­lontiers, si on était loin, à l’abri.

Le reflet dans les eaux mornes parle tout le temps, ses peignes cardent la soie des mots, une légère stridula­tion (il faut tendre l’oreille), il parle et vous êtes dévoré, ingéré, dégluti, rejeté. Vous n’en savez rien. Vous le quittez satis­fait de vous-même, vous vous en êtes bien tiré. Le marécage s’éloigne der­rière vous, son reflet blanc miroite sous le brouil­lard, il dimi­nue derrière un écran de joncs. Il vous a mor­du l’âme …

Quelques bulles glauques montent éclore à la surface du plan d'eau. Ce sont des pensées. Suite de boules de mercure opaques, bourbeuses, malodorantes.

Cloc!

Une bulle après l'autre.

Cloc !

Il n'y a que des égomaniaques !

Cloc ! Cloc !

Les bulles s'étouffent de rire. Le marécage se tait. La lune y passe sans s'arrêter dans son reflets ...
 

La Vierge de Nuremberg

Il n’est rien dans une si grande tristesse qui ne blesse le cœur, ne râpe n’écorche ne lacère ne dilacère, mon amie, rien qui ne vrille ne fore ne strangule ne perce ne découpe n’éviscère, ma toute petite amie, rien qui ne mordille ne mâchonne ne morde ne dévore, ma belle amie, rien qui ne casse ne broie ne désosse ne pile, mon immense amie, rien qui ne sec-tionne n’arrache n’ébouillante ne mutile n’empale raide ne ravage ne carnage ne 36000 morceaux ma sœur de misère …