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Publié par Michel Castanier

satire comédie littérature autobiographie autofiction portrait fragment sotie pamphlet
[Auteur de l’image non identifié]

 

Bonnes Résolutions

 

Cesse d’en vouloir aux autres de n’être pas toi, me dis-je.

Je fis cet effort. J’achetai enfin un téléphone portable HY3213UB et l’écoutai éperdument : il ne semble pas qu’il y ait eu quelqu’un pour me répondre. Je compris enfin qu’il suffisait de parler, et je parlais sans fin, sans avoir grand-chose à dire, c’était mieux ainsi, quels reproches n’ai-je déjà subi au sujet de mon obscurantiste manière de vivre ?

Je circulai en trottinette électrique, la tête haute et l’air convaincu, percutai tous les murs, roulai sur les pieds des grands-mères, écrasai des enfants, c’était bon.

Je lus les Inrocks assidument. Dès lors, je pouvais parler de blockbusters, de rap et d’autofiction. Il n’était plus besoin de voir, d’écouter, de lire. Ce serait perdre du temps. Je savais.

Je multipliai les amis sur Facebook. Ils m’aimaient, je les aimais, nous partagions nos recettes Bio, nos belles idées, notre bonne humeur, c’était le paradis du temps où le lion léchait la gazelle.

______

 

Je pris d’admirables photos avec mon HY3213UB, immorta­lisant les vieilles fenêtres encadrées de lierre, les amas de mi­grants Porte de la Chapelle, mes repas de famille, les verrues de tante Félicie, mes boutons de manchette, et je m’émerveillai de la qualité de mon art. Cartier-Bresson n’avait rien à m’envier, le pauvre gar­çon. 

Je me fournis en matériel de peinture, pinceaux, tubes et chevalet. Aucune Académie ne m’en apprendrait plus que mon sûr instinct, je me couvris de laque jusqu’aux yeux, il y eut aus­sitôt vernissage dans le café de mon cousin Lulu, mon oncle Théo vint, j’y gagnai beaucoup d’estime. 

J’eus bientôt une guitare, y perdis mes ongles à gratter comme un fou furieux avant d’apprendre par ma nièce Loulou l’existence du médiator, ce qui améliora considérablement mon duende, d’après mes voi­sins.

Je voulus vouer mes dons à la littérature mais j’avais telle­ment tapoté ma console pour jouer à Resident Evil que ma main était inapte à l’usage d’un stylo, je dus renoncer, au grand dé­sespoir de la poésie.

Je fis du running tous les matins, mais il m’était impossible de me haïr à ce point, je me fixai un arbre après l’autre comme ligne d’arrivée, puis ce fut un banc après l’autre, enfin je ne passai plus mes baskets basses Versace et restai au lit où je consultai Doctossimo tout le long de la journée, on ne saurait être brillant en tout. C’est mieux pour les autres.

Les autres, justement. J’avais atteint mon but, je n’étais plus moi-même. J’étais différent, j’étais les autres et vous n’allez ja­mais me croire : l’enfer c’est bien les autres.

 

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