JOURNAL DE L’ANNÉE DE LA PESTE – 1001 vies (421) : 7 juin
7 juin
J’avais encore du poisson volant au réfrigérateur et je mangeais mon poisson en pensant aux femmes avec une grande émotion, ce qui n’avait pas grand sens, je savais bien qu’elles n’avaient pas d’arêtes. Du poisson aux fleurs, en passant par la féminité, il n’y avait qu’un saut de kangourou. Ainsi peut-on toujours faire confiance aux fleurs. Elles ne nous déçoivent jamais. Elles restent closes un certain temps, méditatives. S‘ouvrir est leur façon de dire oui à l’idée qui leur vient.
Cela pensé, je m’essuyai la bouche avec ma serviette et la plaçai dans son rond de serviette, j’aimais cet usage un peu vieillot, cette discipline, ce sens de l’ordre – tout à fait mon style d’écriture, j’y reviendrai.
Dès lors, à quoi penser ? Il me serait très agréable de m’enrouler sur moi-même – non comme une serviette mais tel que je voyais un chaton dans le square, gros poupon roux au soleil sur un banc – et de baisser mes lourdes paupières de chat sur un rêve de souris. Cependant, pourquoi une souris, si convenue ? Il se pouvait que ce chat rêve le monde et que le monde ne dure que le temps de son rêve.
Je n’y croyais pas. Ce genre d’idée est une des fragilités de l’imagination qu’ils inspirent. On les dit énigmatiques, on se plaît à les croire des sphinx domestiques. Mollement allongés sur le coussin d’un fauteuil, nous voyons leur regard nous poser une question dont dépend notre vie. Moi, je les trouve idiots. Rien de plus cocasse, de plus maladroit, de plus aisément déconcerté. Ils me ressemblaient. Si je mourais le rêve du monde se dissiperait.
Le chat du square tressaillit et leva vivement les yeux vers ma fenêtre.