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Publié par Michel Castanier

satire comédie littérature autobiographie autofiction portrait fragment sotie pamphlet
[l’image est de Michel Rouquette]

 

28 juin


Je me dois, et dois à ma solitude, d’en venir aux quelques conclusions avisées qui me paraissent néces­saires pour la collectivité avant d’en passer à un autre as­pect de nos malheurs.

Il n’est pas contestable que nous aurons dû l’épouvantable rechute du mal à la conduite inconsidérée des habitants, c’était acquis d’avance, ils étaient leur propre fatalité. On oublie plus aisément la douleur que le bonheur, qui est autrement plus rare, et pour lequel nous possédons forcément beaucoup moins de notions et de vocabulaire, à peine nos concitoyens crurent-ils l’épidémie en déban­dade ces enfants qu’ils étaient tous avaient eu la joie naïve des sorties d’école, ils négligèrent leur ré­serve mutuelle, se relâchèrent, perdirent toute prudence, l’ai-je assez dit – les moineaux s’étant égayés, le contrôle finit par revenir au grand vautour du mal qui reprit sa pleine et définitive souveraineté sur les toits de la ville.

Bien que je sois fermement persuadé de son inconscience, on lui aurait aisément prêté d’agir avec la maîtrise d’un grand stratège, comme je l’ai déjà suggéré, organisant la retraite de ses troupes pour mieux investir la place à conquérir que nous lui étions, enceintes écroulées, où prendre ses aises et festoyer. D’autant que ceux qui avaient eu assez d’argent ou d’occasions pour fuir la ville lui revinrent, tout joyeux de croire le danger passé, et ils assurèrent définitivement l’emprise de l’épidémie. Si ce n’était les premières décombres et maisons vides dès cette époque, ils donnèrent l’impression que la cité romaine avait retrouvé l’étiage de sa population habituelle, ce qu’on n’aurait pas manqué de faire la démographie dans des temps ordinaires en y prenant seulement un peu plus de temps, mais l’effet revenant au même, les couches de générations recouvrant d’oubli les générations depuis la Rome antique.

Et de fait, de quelque temps rien ne parut changé. Nos concitoyens avaient la même part de nocivité qu’à l’accoutumée, les mêmes comportements toxiques, la même incompréhension bornée de leurs semblables qui les attiraient tous au fond de l’abîme comme les noyés du Titanic se retenant les uns aux autres et se coulant mutuellement par le fond.

Ainsi – sur le premier des grands naufrages d’un siècle maudit – en ai-je fini avec une partie de ma mission.


*


Toutefois, j’aurai à raconter les derniers instants de la ville et du désert envahi de végétation qu’elle était devenue, mais cela ne peut se faire sans donner pour les siècles à venir une idée de ce qu’était une vie humaine à l’époque et de ce qui allait se perdre d’énigmatique et charmant avec la vieille cité romaine. Je parlerai donc de moi-même en remontant à travers quelques notes négligées pour témoigner du passage.


 


 

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