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Publié par Michel Castanier

satire comédie littérature autobiographie autofiction portrait fragment sotie pamphlet
[l’image est d’Anselm Kiefer]

 

L’Atelier spirituel


 

Si notre patron fréquentait une artiste-peintre il y aurait peu de chance pour qu’il passe du temps dans son atelier.

L’amour ne réclame pas l’admiration, elle lui est na­turelle, ne rien forcer.

En ap­prendre plus sur la fabrication de l’Idée n’est d’aucun intérêt, car l’artiste, n’en sachant trop rien, ne parlerait que pigments, beurre d’antimoine, crème de tartre, sucre de Saturne.

C’est pertinent, mon Jean.

Par ailleurs, avoir une amie écrivain serait pour le boss être dans une in­timité de lit avec son travail.

– Une indiscrétion prématurée et qui gêne. Il verrait l’intérieur de la trame, les accrocs, les coutures et les re­prises du tissu de la personnalité.

Ses brouillons, qu’elle lui soumettrait, seraient leurs draps où ne pas faire grand-chose – la corriger ne l’émouvant qu’assez peu, étrangement.

Si bien que l’amie ne sera plus qu’une épouse qu’on aurait tou­jours connue, de toute éternité, et c’est sans intérêt.

Le mys­tère est dans ce que sera l’œuvre et dans son noyau insécable d’énergie.

 

*

 

Mais notre maître et ami n’a ni épouse ni amie écrivain.

Pas plus qu’il ne connaît d’homme d’écriture vivant dans la région.

Jean, mon Jean, veut dire : qui ne soit pas un survivant de ses rêveries,

Tant mieux. Les considérations de cui­sine entre auteurs émérites sont d’une impudeur pénible, il y entre beau­coup d’exhibitionnisme : contemplez-moi au bain, l’hortensia rose d’un visage épanoui dans la vapeur de l’eau, une bulle grimpant jusqu’à la surface où elle éclate – et embar­rasse.

Ne demandons rien à l’auteur s’il a un vrai talent, les autres font foule.

Le créateur a une activité de sous-marinier (sonar, radar et périscope) qui est de peu d’intérêt pour le public, à moins de solliciter la com­plaisance du voyeu­risme.

On est alors dans le secret des dieux, leurs coulisses, la machinerie des nuages. Et donc ?

Et donc, en effet.

Mais il se peut que le projet de l’œuvre soit l’intérieur de l’œuvre, et cela devrait être passionnant comme théâtre, si on n’oublie jamais qu’il y a dès lors, à l’arrière, d’autres coulisses, d’autres scènes démontables, des treuils et un souffleur, des es­sais d’éclairage et de nombreuses répétitions avant la Première : Mon Œuvre, l’intérieur.

Le créateur est inatteignable ?

Il se retire toujours derrière lui-même.

Comme Dieu.

Ou comme notre boss s’enfouit en larmes sous sa couette.


 

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